Page:Richard - Acadie, reconstitution d'un chapitre perdu de l'histoire d'Amérique, Tome 3, 1916.djvu/47

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Aux Très Honorables Lords Commissaires

du Commerce et des Plantations. »


Ainsi, toute la seconde partie de cette lettre traite assez longuement des fortifications de Beauséjour, de la Baie Verte, de la rivière St-Jean, comme si ces questions en eussent fait l’objet principal, et que ce qui regardait la déportation n’eût été qu’un incident d’importance secondaire dans les détails nombreux de l’administration. La mise en scène n’eût pas été complète si Lawrence ne se fût revêtu du manteau de la religion et du patriotisme pour couvrir son forfait ; c’est ainsi que procèdent les hauts criminels ; et voilà pourquoi il crût de son intérêt de spécifier, en parlant des Acadiens : « ces ennemis invétérés de notre religion et de notre gouvernement, » et de les représenter comme ayant refusé « d’acquiescer aux mesures inspirées par l’honneur dû à Sa Majesté et la sécurité de la Province ».

L’on se figure aisément le trouble et les inquiétudes que

    sort sera remis au caprice des gouverneurs, ils n’étaient donc pas les criminels qu’il les avait déjà accusés d’être. Car un criminel ne devient pas « en un temps si court » sujet utile et productif. Et alors, s’il n’étaient pas des criminels, pourquoi leur a-t-il infligé un châtiment réservé aux criminels, la déportation, — la peine la plus grave du code pénal après la peine de mort ? Il y a ici une contradiction dans les termes qui saute aux yeux. Si les Acadiens, déracinés, proscrits, démembrés, jetés ça et là au petit bonheur, parmi des races étrangères et hostiles à leur sang, à leur langue, à leur religion, placés dans les circonstances les plus défavorables possibles à tout progrès, sont cependant aptes à devenir dans un bref laps de temps, et en dépit de conditions propres à étouffer tout bon sentiment dans un cœur d’homme, sujets utiles et fructueux, — en vérité, c’est qu’ils l’étaient déjà, chez eux, foncièrement, profondément, c’est qu’ils avaient des vertus un peu rares, que la persécution et l’exil seraient incapables d’arracher de leur âme. Et alors revient la même question : Pourquoi les avoir déportés ? — Le gouverneur Lawrence rend ici à nos pères un hommage qui est sa propre condamnation.