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d’appeler vertu une qualité qui a besoin de la surveillance constante d’une sentinelle pour ne pas s’oublier » en des mouvements dangereux ; je vous remercie, tout ainsi que Gratiano remerciait Shylock, de m’avoir fourni une formule[1]. Ah ! quand un historien a besoin de l’œil vigilant d’un gardien pour ne pas s’égarer hors du sentier de la vérité, ses qualités faciles de description verbale et de sémillante narration méritent-elles vraiment le nom de qualités ? J’ai exercé à votre égard ce rôle de sentinelle, ou plutôt j’ai suivi vos pas, et j’ai remarqué que chaque fois que vous pouviez le faire en toute sûreté, vous ne manquiez pas de vous évader loin du domaine du vrai ! Est-ce là ce que vous entendez par « robustesse d’esprit et par courage moral ? » ]

Il ne faut pas une longue étude pour se convaincre qu’un esprit tout différent animait Brown, Haliburton et Murdoch. En lisant ces derniers, l’on ne tarde pas à se sentir en présence d’hommes dont le caractère est fait de large bienveillance, de droiture et d’amour du vrai. Ils ne sont pas d’aimables conteurs, ils n’ont même pas songé à le devenir : leur seule préoccupation, on le voit sans peine, était la recherche de la vérité, qu’ils ont exposée sans artifices, avec simplicité et candeur. Haliburton possédait toutes les qualités requises pour devenir un agréable anecdotier, mais il les a négligées pour s’en tenir à un simple récit des événements. Pour lui, l’histoire n’était pas une série de mouvements fébriles et désordonnés, une course échevelée à travers deux continents : elle était au contraire une œuvre de recueille-

  1. Gratiano. A Daniel, still say I ; a second Daniel !

    I thank thee, Jew, for teaching me that word.

    The Merchant of Venice. Act. IV, Sc. I.