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comme dans celle des sociétés, rien n’arrive sans produire des résultats lointains, difficiles à prévoir d’abord. Les petits événements accumulés amènent les grands ; les faits s’enchaînent aux faits par des liens invisibles, comme les fils aux fils pour composer les tissus.

Et donc, en ces temps-là, le pur esprit chrétien était faussé, mais la foi était grande. Et c’est à ce double point de vue qu’il faut se placer pour juger de l’abbé Le Loutre[1]. Il

  1. Voilà qui renverse toutes nos notions. Richard n’est pas toujours heureux quand il veut s’élever à la sphère philosophique. L’on a pu remarquer, dans tout ce passage, des choses contradictoires, dont le moins que nous puissions en dire est qu’elles n’avaient rien à voir dans la question. Mais nous ne pouvons laisser passer cette dernière affirmation que « le pur esprit chrétien était faussé, alors que la foi demeurait grande ». Ceci est une fausseté absolue, en théorie et en pratique. L’esprit chrétien procède de la foi comme de sa source. Là où la foi est sincère, réelle, éclairée, règne aussi le véritable esprit du christianisme. Il ne peut y avoir d’esprit chrétien sans foi, ni de foi sans esprit chrétien. Les deux se tiennent : l’un est la conséquence nécessaire de l’autre. De même que le feu réchaurfe et éclaire, ainsi la vraie foi produit le véritable esprit chrétien, charité, miséricorde, douceur et pitié. Si, dans la société du 18e siècle, l’esprit chrétien était faussé, c’est que la foi d’abord s’y était altérée et amoindrie. Or, l’abbé Le Loutre, ainsi que les documents l’affirment et ainsi que l’auteur de d’Acadie l’admet, ayant été le type du missionnaire catholique, ardent, dévoué, zélé, l’abbé Le Loutre, homme de foi profonde, n’a pu dans sa conduite, donner l’exemple d’un faux christianisme. Mais qu’est-ce que Richard entend par pur esprit chrétien ? — C’est ce qu’il faudrait savoir. Entend-il que Le Loutre, sachant que les Anglais voulaient pervertir la foi et la religion chez les Acadiens, a eu tort de mettre ceux-ci en garde contre un pareil malheur ? Veut-il dire qu’il a eu tort d’employer des moyens énergiques pour sauver leurs âmes de l’apostasie ? Prétend-il que la tolérance lui prescrivait, à lui, apôtre de la vérité, de ne pas s’opposer à un pareil danger, le pire de tous, et de ne pas compromettre sa réputation aux yeux des hommes, et sa vie même, afin d’arracher ses brebis et ses compatriotes au péril qui les menaçait — le protestantisme ? Mais, c’est ce qui rend si vénérable, aux yeux de la postérité, la mémoire de l’abbé Le Loutre, d’avoir dépensé tant d’énergie pour tâcher d’épargner aux Acadiens ce malheur, et l’infortune de la déportation. L’auteur d’Acadie confond deux choses tout-à-fait inconciliables pourtant : l’esprit chrétien, et ce que le monde désigne du nom de tolérance religieuse. Ce n’est pas du tout avoir l’esprit chrétien, que