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selle Dumenil, elle lui paroissoit singulière ; mais elle connoissoit trop le monde pour la juger favorablement. Que devint Ernestine en apprenant d’elle où cette conduite pouvoit la guider ? Eh quoi ! des soins si tendres, des bienfaits si grands, répandus sur elle’avec tant de profusion et de secret, tendoient à lui ravir un bien, dont la richesse et la grandeur ne pourroient jamais réparer la perte.

Mademoiselle Dumenil, entrant alors dans des détails nécessaires à ses desseins, s’étendit sur la façon de penser libre et inconséquente des hommes ; sur la contrariété sensible de leurs principes et de leurs mœurs. « Ô ma chère amie, vous ne les connoissez pas, lui disoit-elle ; ils se prétendent formés pour guider, soutenir, protéger un sexe timide et foible : cependant eux seuls l’attaquent, entretiennent sa timidité, et profitent de sa foiblesse : ils ont fait entre eux d’injustes conventions pour asservir les femmes, les soumettre à un dur empire ; ils leur ont imposé des devoirs, ils leur donnent des lois, et par une bizarrerie révoltante, née de l’amour d’eux-mêmes, ils les pressent de les enfreindre, et tendent continuellement des piéges à ce sexe foible, timide, dont ils osent se dire le conseil et l’appui. »

« Ah ! ne comparez pas le marquis de Clémengis à ces hommes insensés, s’écria Ernestine ; ne lui supposez point de cruelles intentions ; jamais il n’a formé l’horrible projet de me séduire, de me rendre méprisable et malheureuse : non, son affection est aussi pure que la mienne. Ah ! si vous le voyiez, si vous lui parliez… — Eh bien, interrompit mademoiselle Dumenil, je