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doute lui laissoit la force de cacher les siens : mais voir Ernestine sensible, et n’oser le paroître lui-même ; lire dans ses yeux attendris, les plus douces expressions de l’amour, et se taire ! quelle contrainte, quel supplice pour un amant passionné, qui goûtoit enfin un bien si long-temps souhaité, celui d’être aimé, véritablement aimé !

Sa fortune dépendant encore d’une contestation difficile à terminer, la nécessité de ménager la faveur d’un parent dont l’amitié méritoit sa reconnoissance, le monde, les préjugés reçus, tout élevoit une barrière insurmontable entre Ernestine et lui. Il ne songeoit point à la franchir : l’honnêteté de son cœur, la noblesse de ses principes, ne lui permettoient pas non plus d’avilir une fille estimable, de mettre un prix honteux à des dons qu’elle n’avoit point exigés. S’arracher au plaisir de la voir, c’étoit un moyen de recouvrer sa tranquillité : mais la dureté de ce moyen le révoltoit. Si quelquefois il consentoit à s’affliger lui-même, à s’éloigner, la certitude d’être aimé l’arrêtoit : comment se résoudre à chagriner l’aimable, la sensible Ernestine ! L’éviter, la fuir ; elle ! qui, dans la simplicité de son cœur, s’attachoit tous les jours plus fortement à lui ; que penseroit-elle d’un ami bizarre et cruel ? quelles seroient ses idées ? Mépriseroit-elle son inconstance, en seroit-elle touchée ? Oui sans doute : il ne pouvoit se dissimuler que sa présence n’excitât la joie d’Ernestine ; ah ! comment l’en priver, quand elle étoit peut-être devenue nécessaire au bonheur de sa vie ?

Cette dernière considération fut si puissante sur