Page:Riccoboni - Œuvres complètes, Tome 1, 1818.djvu/457

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bientôt apercevoir que son crédit attiroit autant que sa personne. Depuis long-temps il cherchoit en vain un cœur capable de l’aimer pour lui-même, et s’affligeoit de ne pouvoir le trouver.

Pendant qu’Ernestine s’occupoit à copier le portrait du Marquis, elle recevoit sa visite tous les matins, et n’attribuoit son assiduité qu’au motif dont il la couvroit. Rien n’avoit préparé son esprit à la défiance ; elle ignoroit le danger où la vue d’un homme aimable pouvoit l’exposer, et la simplicité de ses idées la laissoit dans une parfaite sécurité. Quand on n’a jamais senti le désir de plaire, on plaît long-temps sans s’en apercevoir ; et l’amour qui se cache, ressemble tant à l’amitié, qu’il est facile de s’y méprendre.

M. de Clémengis, chaque jour plus charmé d’Ernestine, voyoit avec chagrin que l’ouvrage avançoit : pour se conserver le plaisir d’aller souvent chez le peintre, il résolut d’apprendre un art qu’il commençoit à aimer. M. Duménil, faible alors, condamné à périr bientôt d’un mal incurable, se trouvoit rarement en état de diriger les essais du Marquis : sa charmante élève fut chargée de ce soin. Elle apprenoit à cet écolier docile à tenir, à guider ses crayons ; lui enseignoit à imiter les traits qu’elle-même formoit : souvent elle rioit de sa maladresse ; quelquefois elle le grondoit, l’accusoit de peu d’intelligence, se plaignoit de ses distractions et, lui montrant deux petites filles qui dessinoient dans la même chambre, elle lui reprochoit de profiter moins de ses leçons que ces enfans.