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à la veuê de tout le monde reduits à une extreme necessité. Mais ceux qui ont mieux rencontré en cete fraude, font tellement de l’argent faux, qu’ilz attirent à mesme erreur quelques-uns des plus ignorans & outre ce que delaissans tout exercice de lettres & de vertu, ilz soufflent jour & nuict leur fournaise, ils transcrivent aussi des livres à grands despens, & achetent plusieurs instrumens convenables à cest art, pour attirer les autres à quelque nouvelle tromperie, ou pour estre trompez eux mesmes. On trouve un nombre infini de Cyclopes pour servir & à cete fournaise & fausseté Vulcanienne : les uns desmentans la verité par la proprieté du corps & de l’habit, les autres aussi cachans la fausseté soubs un salle habit de mendiant. L’exercice continuel de ces gens, est d’aller vagabonds par tout ou l’esperance de gain les pousse, & de tromper les curieux de cest art avec des vaines promesses. Or toute la finesse de ces vagabonds consiste en cecy, sçavoir qu’ilz puissent à l’avance par quelque espreuve de leur art faire acroire qu’ilz peuvent mener à perfection ce qu’on espere ; car alors ilz espuissent les bources jusqu’au fond pour acheter tout ce qui est necessaire, & tous les instruments & meubles de Vulcain. Mais le jour mesme qu’on en doit recevoir le prix & thresor, les Harpies s’envolent, & ne paroissent jamais plus & ilz ne laissent rien que les bourses vuides, & les gages des debtes entre les mains des usuriers & Lombards. Et cette maladie de folie apporte cette phrenesie, qu’encore que quel qu’un ait par ce moien plusieurs fois perdu beaucoup de ses biens, neantmoins il n’est pas plus sage, ni se peut retenir ou empescher d’estre trompé par quelque autre charlatan plus cauteleux, qui l’abuse derechef avec des semblables promesses. Et ainsi plusieurs passent leur vie en ceste esperance, palles de souci, & attristez des vains successez de leur travail & folle despence, & toutes-fois ne se laissent jamais ramener à leur bon sens par leur parens & amis.

L’autre maladie de folie quelques-fois attachée avec la premiere. Et d’autant qu’une estude serieuse de sa nature tend à l’immortalité, aussi cette manie saisit les principaux personnages & plus souverains Magistrats. Iceux apres avoir acquis en ceste vie les dignitez & richesses qu’ilz pouvoient esperer, croient que rien ne leur defaut pour attaindre à la beatitude souveraine, que le moien de joindre ces choses ensemble avec l’immortalité ; & pour ceste cause rapportent tous leurs soins & efforts à ceste seule chose. Et certes en cette cour Royal de Pequin, où nous demeurons, il y a du tout peu de Mandarins, Eunuques, & autres principaux qui ne soient bien malades de ceste folie. Et pour ce qu’il n’y a pas faute de disciples, aussi n’y a il de maistres ; & d’autant plus chers que les susdits que le desir de l’immortalité de soy est