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qui sont pris en guerre, ou amenez d’ailleurs, ains naturelz du pays & de la mesme ville. Il y en a beaucoup aussi qui sont emmenez en perpetuelle servitude par les Portugais & Espagnolz hors de leur pays. Encor que toutefois Dieu se sert principalement de ce moien, pour retirer plusieurs Chinois de la servitude du diable, & les remettre en la liberté Chrestienne.

Mais il y a deux choses qui rendent ce trafic des enfans à vendre plus tolerable  : sçavoir la multitude du menu peuple qui ne s’entretient qu’avec grand travail & industrie, & la condition de la servitude beaucoup plus douce & supportable entre les Chinois que parmi aucune autre nation. Et par-ce que chacun se peut racheter pour le mesme prix qu’il a esté vendu, toutes les fois qu’il en aura les moiens. Le mal suivant est du tout plus grand. Car en quelques provinces ilz estouffent les enfans dans l’eau, principalement les femelles, d’autant qu’ilz desesperent de les pouvoir nourrir & eslever. Ce qui aussi est en coustume parmi ceux qui ne sont pas des moindres du peuple, craignans qu’en apres la necessité venant à les presser. ilz ne soient contraintz d’exposer leurs enfans en vente, & les delivrer à des estrangers & incognus. Ceux-cy pour n’estre impies, se rendent cruelz. Mais l’erreur qu’on appelle la Metempsychose des ames a rendu ceste cruauté moins dure parmi eux  : car cependant qu’ilz croient que les ames des mortelz passés d’un corps, en l’autre, ilz couvrent du pretexte de pieté une cruauté du tout barbare, disans qu’ilz procurent le bien de leurs enfans quand ilz les tuent, d’autant que par ce moien estans retirez de la pauvreté angoisseuse de leur famille, ilz doivent bien tost renaistre en meilleure fortune. De là provient que ce carnage des enfans ne se fait pas en cachette, mais à la veue & au sceu de tout le monde.

Mais à ceste barbarie en est adjoustée une autre plus cruelle, par laquelle plusieurs se tuent eux-mesmes, ou desesperans de pouvoir acquerir des biens, ou lassez de souffrir du mal, ou afin (laschement certes & non moins sottement) qu’ilz fassent despit à leurs ennemis. Car ilz disent qu’il y a tous les ans plusieurs milliers tant d’hommes que de femmes qui se passans un licol à la gorge s’estranglent au milieu des champs, ou devant la porte de leurs adversaires, ou se jettent dans les rivieres, ou s’arrachent la vie avalant du poison ; & quelquefois pour des causes bien legeres. Car pource que les Magistratz punissent severement en apres ceux qui sont accusez par les parens du defunct d’avoir esté cause de son desespoir, ilz croient ne se pouvoir par aucun autre moyen mieux venger. Toutefois il y a plusieurs Mandarins plus sages, qui par loy expresse n’entreprennent la cause d’aucun qui se sera tué soy-mesme, & ainsi la vie de plusieurs est conservée.