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civilz n’ayent manqué, soit devant, soit depuis que cete coustume est changée, encor mesmes que cet Empire soit divisé en plusieurs moindres Royaumes (ce que nous entendons estre aussi maintenant aux Isles du Japon) on ne trouve point neammoins par escrit qu’il ait jamais esté subjugué tout a fait, que l’an de nostre Salut 1206, que je ne sçai quel Capitaine de Tartarie, dompteur de Royaumes, se jetta en ces Provinces avec une armée victorieuse. Quiconque ait esté celui-là, je l’appelleray Tartare. Iceluy ayant fait entrer une armée dans le pays, subjugua dans peu de temps toute la Chine, & sa posterité a continué la tyrannie sur un si grand Royaume jusques en l’année 1368, auquel temps les forces de l’Empire Tartare commençant à defaillir, & les Chinois ne pouvans plus supporter un commandement estranger & humeur barbare, ilz secouërent le joug en diverses Provinces soubz divers Capitaines.

Celuy qui a surmonté tous les autres chefz en actes genereux exploictez ou par vertu, ou par finesse, a esté un Capitaine de la famille de Ciu, que les Chinois depuis ont nommé Humvu, brave Capitaine, ou plustost deluge d’armes. Iceluy s’estant attiré les forces & le secours de quelques autres valeureux Capitaines, en peu de temps de simple soldat vint à une si grande puissance, que non seulement il chassa les Tartares, le Roy, & tous les chefz despouillez de tout commandement, ains encore fut accompagné de tant de bon-heur, qu’il surmonta tout le reste des rebelles qui estoient dans le Royaume, & seul occupa l’Empire Chinois, continué heureusement en ses descendans jusques à maintenant. Pour ceste occasion ilz ont, comme j’ay dit ci-dessus, donné le nom de Tamin (qui signifie grande clarté) à sa Monarchie.

Or l’Empire Chinois derive à nostre maniere du pere au filz, ou proches parens du Roy. Deux ou trois Roys tres-anciens seulement à la mort ont recommandé le Royaume, non à leurs filz, qu’ilz jugeoient incapables de regner, mais à des autres, bien qu’ilz ne fussent de leur sang. Il est aussi plus d’une fois arrivé que celuy qui gouvernoit trop mal le Royaume, a esté despouillé de sa puissance par le peuple impatient du joug, qui mettoit en sa place celuy qui estoit plus genereux, vertueux, & aimé du peuple ; lequel aprez ilz honnoroient comme leur Roy légitime. Cela en vérité est digne de louange entre les Chinois, que plusieurs desirent plustost choisir une mort honorable, que de conjurer avec le Prince qu’on a mis en la place de l’autre ; car il y a un dire fameux entre les Philosophes du pays, La femme chaste ne cognoist deux maris, ni le fidele subject deux Seigneurs.