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livres. Ilz ostent aucunement ceste equivocation avec cinq accens ou tons, lesquelz, tant ilz sont subtilz, on ne peut pas discerner si aisement. Ilz remedient aucunement à ce peu de leurs accens  : car d’une syllabe ilz en font souvent cinq toutes entièrement différentes de signification, par la varieté de ces tons, & n’y a aucune diction qui ne soit prononcée avec un de ces accens. D’où la difficulté de parler, & entendre s’augmente de sorte qu’aucune langue du monde ne semble estre si difficile à apprendre aux estrangers. Toutefois ceste difficulté, par la faveur divine & travail assidu est surmontée par ceux qui se sont entierement dediez au salut de ce peuple, lesquelz jusqu’à present autant qu’il y en a icy de nostre Compagnie ont appris non seulement à parler, mais encor à lire & escrire.

J’estime certes que la cause de cecy est, que cete nation de tout temps a plus tasché de polir son escriture, que son langage  : pource que toute son eloquence jusqu’au jourd’hui consiste en la seule escriture, non en la prononciation ; telle que lisons qu’estoit celle de Socrates entre les Grecs. Cela est cause que les messagers domestiques s’envoyent mesme dans la ville non avec commission de bouche, ains quasi tousjours avec escrit.

Or cete maniere d’escrire, par laquelle nous donnons à chasque chose son charactere, encor qu’elle soit fort fascheuse à la memoire, neantmoins, au reste apporte quant & soy une certaine grande commodité aux nostres inouyes, d’autant que des nations tres differentes en langage, usant de characteres communs, en escrivant se communique ensemble par le moyen des livres, & des lettres, encor que l’une n’entende pas l’autre en parlant ensemble. Ainsi les Japons, Corains, Caucincinois, Levhiens, ont des livres communs ; encor qu’en les prononçant ilz sont si différents entre eux. que l’un n’entend pas seulement un mot de l’autre. Ilz entendent neantmoins tout le mesme sens des livres, encor qu’ilz n’ayent cognoissance d’aucune autre langue que de la leur propre. En ce mesme Royaume aussi de la Chine chasque Province est si différente au parler, qu’ilz n’ont du tout rien de commun, & toutefois ilz ont tous un mesme traffic, & usage de livres & de lettres.

Toutefois outre ce langage naturel de chasque Province, il y en a un autre commun à tout le Royaume, qu’iceux appellent Quonhoa  : qui veut dire langage de Cour, ou de plaid. Cecy provient de ce que tous les Magistrats, comme je diray cy apres, en la Province ou ilz exercent leurs charges publiques sont estrangers ; & afin qu’ilz ne fussent contraints d’apprendre un langage estranger, il y a un langage de Cour par tout le Royaume, avec lequel non seulement les affaires du Palais se