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que s’ilz eussent observé par les chemins, qu’ilz seroient jà mortz de faim. Qu’il leur sembloit aussi & à leurs femmes & parentz Ethniques que circoncir les enfans au huictiesme jour estoit une institution barbare & cruelle ; ce que s’il estoit permis par nostre loy de laisser, ilz la recevroient facilement, & qu’ilz n’apporteroient pas beaucoup de difficulté en l’abstinence de la chair de porc. Et voila quasi tout ce que jusqu’à present nous avons peu apprendre touchant les juifz.

Maintenant je commencerai de recueillir & poursuivre les reliques de la verité Chrestienne d’autant plus volontiers, que je scay que cela sera tres-agreable à nos Europeens. Nous avons appris ceci les anneez précédentes par ce mesme Juif, & quelques autres indices. Quand le Pere Mathieu Ricci eut entendu clairement que ce Licentié Chinois estoit de la loy ancienne des Juifz, il emploia son industrie, à trouver quelque marque plus evidente du Christianisme, que celle que nous avions jusqu’alors eue. Mais aussi long-temps qu’il a appelle les Chrestiens par ce nom, il n’a rien avancé : mais les descrivant peu a peu par divers passages de la loy, il a obtenu ce que principalement desiroit. Entre les Chinois il n’y a aucun usage de la croix, par ainsi le nom mesme en est incognu. C’est pourquoy les nostres luy ont imposé un nom Chinois, l’ayant emprunté du charactere qui signifie le nombre denaire, en forme d’une croix par ce signe + ; & peut estre cela n’est pas arrivé sans la providence divine, qu’il ait aujourd’huy donné à nostre croix le mesme nom qu’autresfois les anciens, contrainctz par le mesme defaut du langage, luy avoient jà auparavant imposé parmi les Chinois. Car les uns & les autres l’ont appelle Sçiecu, c’est à dire, charactere du nombre de denaire : & en cela ilz ne se sont pas beaucoup esgarez de l’exemple des lettres sacreez, esquelles la lettre T, est denotée, empruntant aussi une figure plus parfaicte de la croix.

Comme donc on parloit de la croix appellée par ce nom, cest Israelite raconta qu’en la Métropolitaine Caifumfu sa patrie, & en un autre port tres-fameux nommé Lincino de la Province Sciantum, & en la Province de Scian il y avoit quelques estrangers desquelz les predecesseurs estoient venus de Royaumes estrangers, & qu’ilz estoient adorateurs de la croix, & avoient accoustumé d’en signer leur boire & manger avec le doigt, mais que ni luy, ni ceux là ne sçavoient pourquoy ilz faisoient ceste ceremonie. Le tesmognage de cest Israelite s’accordoit à ce que les Peres avoient jà entendus de diverses personnes touchant ceste coustume de faire le signe de la Croix en divers lieux. Voire mesme qu’on signoit les petitz enfans du mesme charactere de ce signe salutaire au front avec de l’encre en divers lieux, pour les preserver des malheurs qui arrivent ordinairement aux enfans.