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terminé par les exploitations les plus riches ; nous glisserons même sur l’offre et la demande, et nous donnerons à la doctrine de la rente l’avenir tout entier et le monde pour se déployer. Mais toujours est-il que les sociétés, acculées dans leur dernier refuge, devront subir le bon vouloir des propriétaires. Il faudrait bien peu connaître l’espèce humaine pour ne pas voir qu’il se formerait une classe de rentiers agricoles parfaitement analogues aux rentiers du 3 et du 5 pour cent ; et le fait de savoir si les prix ont haussé parce qu’on a cultivé des terres nos 2 et 3, ou si, au contraire, comme le veut le spirituel colonel Thomson, on a cultivé ces catégories inférieures parce que les prix ont haussé, toutes ces distinctions microscopiques et ces analyses à la loupe ne peuvent détruire la conclusion suprême à laquelle nous sommes arrivés.

C’est même l’instinct de ces graves conséquences qui a poussé les populations des États-Unis aux attentats violents dont l’opinion publique s’est émue de nos jours.

S’il est un pays au monde qui pût se croire à l’abri de soulèvements agraires et d’attentats à la propriété, c’est bien évidemment l’Amérique. L’homme s’y meut à l’aise dans des limites infinies ; la maison roulante de l’émigrant peut visiter tour à tour les plus vastes[prairies, les coteaux les plus riches, et sa charrue peut tracer librement un sillon qui commence à New-York pour se terminer dans l’Orégon. Et cependant la rente s’est établie aux États-Unis, au centre de ces territoires regorgeant de richesses et que le hasard semble avoir choisis pour faire, sur une grande échelle, l’expérience des doctrines de Ricardo. Il s’est trouvé, en effet, que la force d’attraction et de groupement qu’exerce la civilisation sur les hommes a combattu victorieusement la force expansive qui les pousse au loin vers l’inconnu. Quelque vastes et productives que soient les terres qui avoisinent le clocher, on tient à ce clocher par les habitudes de la vie, par la langue qui vibre harmonieusement à l’oreille, par la tombe de l’aïeul, le berceau de l’enfant, par toutes les fibres, en un mot, de l’esprit et de l’âme. De sorte que le droit de propriété s’est constitué aux États-Unis comme dans tous les pays où l’on a perdu les illusions de la communauté des biens, — c’est-à-dire de l’anéantissement des biens ; et la révolte des tenanciers du général Van Renslaer n’est que l’effort désespéré et aveugle d’un peuple qui sent qu’un joug s’appesantit graduellement sur lui.

On sait le point de départ de cette petite jacquerie, qui a reçu les différents noms de guerre des manoirs, de guerre de Heldelberg, et celui plus significatif d’antirentisme. Dans le fait, c’est uniquement une croisade contre la rente, dans laquelle se sont enrôlés des groupes de fermiers qui, par cela seul qu’on ne leur avait pas réclamé le montant des fermages pendant de longues années, ont trouvé naturel de reconnaître cette mansuétude par la revendication audacieuse et violente des terres confiées à leur travail et à leurs capitaux. Chose étonnante même, et qui n’étonnera cependant aucun esprit habitué aux anomalies et aux sophismes