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d’aucun prophète une conception si généreuse que celle qui met le sceptre de ce monde entre les mains du producteur. Le travail est pour lui la sève féconde qui pénètre tous les produits pour leur donner de la valeur ; et c’est même pour s’être élevé trop haut dans son système et pour avoir eu, en quelque sorte, le fanatisme de sa pensée qu’il a méconnu l’autre loi régulatrice des échanges, la loi de l’utilité, constatée par le rapport de l’offre à la demande. Il n’a pas vu que pour l’humanité prise en masse, et pour les échanges de tout un siècle, ramenés par une sorte de perspective rationnelle sous les yeux de l’écrivain, le travail est bien la mesure suprême des valeurs ; mais que pour les individus, pris isolément, dans des localités distinctes, la rémunération de l’œuvre s’accroît ou s’affaiblit en raison de l’utilité que cette œuvre possède pour la société. Il en est des idées et des théories comme des rayons lumineux qui se réfractent dans notre atmosphère : leur pure substance s’altère au contact des faits, et il faut franchir la région du positif pour en reconnaître la majestueuse vérité. Ricardo n’a pas tenu compte de ce compromis que le fait impose à l’idée. Il voit plutôt ce qui doit être que ce qui est, et il s’égare ainsi à la poursuite d’un absolu déjà rêvé par les économistes.

C’est ainsi qu’il s’est vu conduit à cette théorie célèbre de la rente des terres que MM. Rossi, Mac Culloch, Malthus ont couverte de l’autorité de leur talent, mais que nous croyons avoir été jugée plus sainement par MM. Say, Sismondi, et par M, Blanqui, dans la lumineuse exposition dont il a enrichi son histoire de l’Économie politique, — brillant et docte panorama de toutes les révolutions, de tous les progrès de la science. L’inflexible précision avec laquelle Ricardo a exposé ses idées sur l’origine et les progrès de la rente ne pouvait même manquer de provoquer un enthousiasme exalté, ou des réfutations ardentes. Cette partie de son œuvre a quelque chose de magistral, d’impératif, qui devait attirer ou repousser vivement, et on comprend parfaitement que M’Culloch, dans un accès de fanatisme pour la personne et pour les écrits de l’auteur, ait déclaré que la théorie de la rente est, après l’ouvrage de Smith, le plus important et le plus original que l’on ait publié sur l’Économie politique, tandis que, pour beaucoup d’autres écrivains éminents, l’Essai de Malthus, par la grandeur de l’hypothèse fondamentale, et le Traité de J.-B. Say, par sa majestueuse ordonnance et l’enchaînement harmonique de ses conclusions, méritent mieux cet éloge et ce rang. Nous sommes de ceux qui combattent Ricardo, et nous lui refusons, avec d’autant moins de regrets la couronne dont on l’a gratifié, que sa part de gloire nous paraît déjà assez belle. Ce qui vient de lui est précisément ce que nous estimons le plus, et en réfutant, ou cherchant à réfuter sa Notion de la rente, nous n’attaquons que le propagateur de principes découverts et formulés avant lui. On sait assez, en effet, que la doctrine qui donne pour origine à la rente l’infériorité graduelle des terres successivement mises en culture, avait été entrevue et ébauchée par J. Anderson dans un écrit fort rare aujourd’hui.