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indemnisé de l’impôt. Mais en employant le même capital sur une terre de meilleure qualité, on peut recueillir deux mille quarters de

    or, qui se rappelle avoir vu diminuer et surtout annuler des impôts ? Cette souplesse est donc analogue à celle du knout, et nous la désavouerons en la baffouant, tant que nous verrons des décimes de guerre se perpétuer en pleine paix. Quant à la facilité d’ajourner à volonté l’impôt individuel, nous dirons que là repose encore une erreur grave et dangereuse. Il est bien vrai sans doute que le sacrifice se fait par parcelles ; mais il n’est pas vrai que le consommateur puisse choisir l’époque à laquelle il devra l’acquitter, ni que la taxe grandisse ou diminue avec ses ressources, c’est-à-dire avec la consommation effectuée. En effet, la vie a des exigences quotidiennes qu’il faut satisfaire quotidiennement, et s’il est possible d’ajourner au lendemain un plaisir, ou l’achat de quelque, superfluité, il n’en est pas de même des denrées de première nécessité. Celles-là il les faut avoir sous peine de mort, et pour les avoir il faut payer tribut à ce créancier inflexible qui ne fait crédit ni aux larmes ni à la faim, et qu’on appelle l’Octroi. Il faut donc rayer encore de la liste des avantages attachés aux contributions indirectes, ces prétendus accommodements et cette prétendue souplesse. Reste donc maintenant le parallélisme qu’on dit exister entre la consommation elle-même, l’impôt qui la grève, et les ressources de la masse. Rien de plus réel, de plus séduisant au premier coup d’œil, rien de plus faux en réalité. Voici comment :

    Étant donnée une taxe de 0,05 c. sur un litre de lait, celui qui achète deux litres paiera 0,10 c, celui qui en achète quatre paiera 0,20 c, et ainsi de suite. Notre intelligence va jusqu’à comprendre cela ; mais cette taxe en sera-t-elle pour cela-plus équitable, plus régulière, plus proportionnelle, en un mot ? Nullement. Pour tous les individus jouissant de revenus fixes le sacrifice fait en faveur de la société sera sans doute le même chaque jour : ce n’est qu’à de larges intervalles, en effet, que s’abaissent l’intérêt des capitaux et la rente foncière. Mais quoi de plus mouvant, de plus capricieux que les salaires de l’ouvrier : aujourd’hui, sous l’influence d’une industrie prospère, ils atteindront un niveau élevé et, le lendemain, si des crises financières, des sécessions menacent la grande ruche populaire, ils diminueront, ils s’anéantiront peut-être ! Une taxe que l’ouvrier supportait aisément avec une rétribution de 3 ou 4 francs par jour, lui paraîtra écrasante alors que cette rétribution ne sera plus que de 2 ou de 1 franc. Or, comme ces variations du tempérament industriel se représentent chaque jour, on voit à quoi se réduit ce rapport tant vanté entre les ressources du citoyen et le tribut qu’il paie à l’État. En réalité ce rapport qui existe pour certaines classes ne l’est pas pour d’autres : il est vrai aujourd’hui, et ne l’est plus le lendemain.

    À quoi on a objecté qu’il faut à tout prix des revenus à l’État, que l’égalité réelle et non fictive demandée par nous est tout simplement une chimère, et qu’il est impossible, par exemple, de déboucher toutes les bouteilles de vin pour savoir si on a affaire à du Johannisberg, à du Porto ou à du Surène. Il faut des revenus à tout prix, sans doute, excepté au prix de l’injuste et des privations de la classe laborieuse qui a besoin de toutes ses forces pour sa rude et incessante tâche, véritable rocher de Sisyphe, qui seulement ne retombe pas. Et quant à l’impossibilité d’asseoir nos contributions sur les données du bon sens, je la ré-