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développement de la raison et la grande rectitude de la volonté. Mais pour que la raison se développe et que la volonté se redresse une formation est nécessaire ; et cette formation doit venir du dehors, au moins en grande partie, car tout ce que nous apportons avec nous c’est la volonté de bien faire, et c’est beaucoup sans doute, mais ce n’est pas assez. Cette formation implique de la part de celui qui la reçoit une certaine docilité, et, si la docilité vient à manquer, de la part de celui qui la donne une certaine contrainte, parce qu’il n’y a pas de formation là où le sujet ne fait que ce qu’il lui plaît. De là le pouvoir paternel, ou, pour parler plus exactement, le pouvoir de tutelle. Ce pouvoir est absolu en quelque manière, puisqu’il comporte une contrainte légitime, mais il n’a qu’un temps, parce que l’homme ne peut passer sa vie dans la préparation à prendre le gouvernement de lui-même. Du reste, qui serait tuteur si tout le monde était en tutelle ? Il vient donc nécessairement un moment où le pupille doit être émancipé, et prendre avec l’initiative de ses actes la responsabilité de sa conduite.

L’homme est-il alors définitivement affranchi de toute entrave ? Non. Si, parvenu à l’âge où l’on est son maître, l’homme ne voulait et ne faisait jamais que le bien, sa liberté morale étant complète, sa liberté naturelle n’aurait point à subir d’atteintes. Mais, en fait, nous commettons tous beaucoup de fautes, et quelques-uns d’odieux crimes. Parmi ces fautes et ces crimes il en est que tout le monde a le droit de blâmer, mais personne le pouvoir de réprimer, parce qu’ils ne portent préjudice qu’à leurs auteurs ; ce sont les fautes et les crimes personnels. Nulle autorité ici ne peut rien, attendu que la répression des fautes personnelles appartient au pouvoir de tutelle seul, et que ce pouvoir, dans le cas que nous considérons, a cessé son office. Mais il en est autrement à l’égard des délits et des crimes ayant un caractère social. La société alors peut et doit intervenir, parce que ces délits et ces crimes, s’ils ne sont pas réprimés, tendent à se généraliser, et que, s’ils se généralisent, ils mettent en péril l’existence même de la société, ou tout au moins son fonctionnement normal. La société agit donc à l’égard des malfaiteurs comme fait un honnête homme qui, attaqué par des brigands, se défend du mieux qu’il peut, et tue même les agresseurs s’il est nécessaire à sa défense. Voilà par conséquent une première restriction au droit de tout faire qu’a l’homme entré en possession du gouvernement de sa vie. En voici une seconde, qui vient de la société comme la première, et qui, comme celle-ci, suppose dans la société une autorité politique. La vie d’une société exige de la part des membres qui la composent