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nous a faits tels nous ait faits en même temps soumis à une loi contraire à cette loi primordiale, c’est une supposition qui se détruit elle-même. Et que l’on ne dise pas que les deux lois ont leur vérité ensemble, que nous sommes faits à la fois pour la liberté et pour la soumission. Dans l’ordre des choses relatives un partage peut s’établir entre les contraires, dans l’absolu, non ; et l’on ne comprend pas que nous puissions être tantôt libres tantôt contraints, comme nous sommes tantôt bien portants et tantôt malades.

Ne disons donc pas que « toute autorité vient de Dieu », ou du moins, en le disant, sachons l’entendre. Sans doute l’autorité vient de Dieu comme en viennent toutes choses en ce monde ; car, en nous donnant une existence qui ne peut être que limitée, Dieu nous impose toutes les conséquences qui résultent nécessairement du fait de cette limitation. Qu’il soit donc entendu, si l’on veut, que de Dieu vient l’autorité comme en viennent la douleur et la mort. On reconnaîtra même sans difficulté que Dieu fait à l’homme un commandement positif d’obéir à l’autorité légitime ; car cette obéissance étant une condition de la vie humaine dans l’ordre de la nature, nous est prescrite par la raison absolue qui habite en nous, c’est-à-dire par Dieu même. Mais, si cette obéissance est pour nous une nécessité comme notre corps, toute respectable et sainte qu’elle est de même que notre corps, elle est, comme notre corps aussi, une charge et une entrave. Elle ne saurait donc être un idéal, non plus que la perfection corporelle si ce mot avait un sens ne saurait être un idéal. L’idéal est son contraire, la liberté. Par conséquent, si Dieu veut d’une volonté conséquente, comme disent les théologiens, l’autorité, il ne peut vouloir d’une volonté antécédente que la liberté.

En un mot, parce que la liberté est Esprit, et que l’autorité est le contraire de la liberté, c’est dans le contraire de l’Esprit, c’est-à-dire dans la matière ou dans l’irrationnel, qu’il convient de chercher, non pas le principe, — car l’irrationnel n’est le principe de rien,— mais le terrain d’application de l’autorité. L’autorité n’est nécessaire que parce que l’homme est ignorant et faible. C’est pourquoi Dieu n’est pas plus le père de l’autorité qu’il n’est le père de l’ignorance et de la faiblesse.

L’ignorance et la faiblesse prennent deux formes, ce qui implique l’existence de deux formes de l’autorité. La liberté est pour l’homme un idéal, mais cet idéal ne se réalise pas sans condition. On ne naît pas libre, on le devient, et jamais en perfection. — Il va de soi que nous ne parlons pas ici du libre arbitre, mais de la liberté morale qui est tout autre chose. — Ce qui nous fait libres c’est le haut