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L’âme n’est elle-même qu’une de ces forces constituantes ; mais elle centralise l’organisation tout entière dont elle fait partie, « elle en est le lien général, la clef de voûte, le chef. Le corps agit sur l’âme et l’âme réagit sur le corps, et, comme les spiritualistes le croient, c’est bien entre l’immatériel et le matériel, entre l’inétendu et l’étendu, entre le simple et le multiple, entre l’impérissable et le périssable, que le conflit de la vie a lieu ; car d’un côté nous avons une force simple, un centre dynamique indivisible, de l’autre, nous avons une agrégation de centres dynamique une agrégation de forces simples, agrégation qui n’existe que par le rapprochement et la combinaison de ces éléments et qui se trouve anéantie, par leur séparation ». Mais les matérialistes n’en ont pas moins raison de soutenir que l’esprit n’est pas d’une autre essence que la matière, puisque « le conflit mutuel du corps et de l’âme n’est que le conflit d’une force simple avec un assemblage d’autres forces simples ses pareilles ».

Le polypsychisme se rattache encore aux mêmes conceptions. On sait que M. Durand de Gros soutient depuis bien longtemps la pluralité des centres psychiques de l’homme… « l’organisme humain… n’est pas la résidence d’un moi unique régnant sur un désert ; ce que nous appelons le moi, notre moi, notre âme, n’est que le chef — primus inter pares — de toute une hiérarchie d’individualités psychiques échelonnées depuis les ganglions encéphaliques et la moelle allongée, jusqu’à l’extrémité inférieure de l’arbre spinal. » On sait aussi que M. Durand explique par là les phénomènes d’inconscience, les faits de l’hypnotisme et beaucoup de phénomènes de la vie courante. Et M. Durand a été le précurseur trop longtemps méconnu de bien des doctrines contemporaines. À la vérité le « polypsychisme » a pris et devait prendre une forme assez différente de celle qu’il lui a donnée. Mais tel qu’il l’avait présenté il constituait une théorie des plus importantes et des plus précieuses et à laquelle on fut loin de rendre la justice qu’elle méritait.

Telles sont les principales idées que M. Durand expose et défend, ou, ce qui lui est assez naturel, avec lesquelles il attaque les idées des autres dans les essais qui composent le volume qui nous est offert aujourd’hui. Ces essais sont tous intéressants à des degrés divers, mais il n’en est pas qui soit inutile et qui ne témoigne de la force et de l’originalité de la pensée de l’auteur. Peut-être recommanderais-je comme particulièrement remarquable la lettre sur Dieu, les miracles et la science, qui termine le volume.


Ce compte-rendu était écrit et remis à la Revue quand j’ai eu le chagrin d’apprendre la mort de Durand de Gros. La philosophie a beaucoup perdu avec ce penseur si personnel et si vigoureux.

Fr. Paulhan.