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« Je n’ai mis ma cause en rien. » Tel est le titre du chapitre qui sert d’introduction, en voici la conclusion : qui résume parfaitement l’esprit du livre, et où l’auteur se défend de faire sienne la cause de l’humanité ou la cause de Dieu : « Dieu et l’humanité n’ont mis leur cause en rien, en rien autre chose qu’eux-mêmes. Semblablement, je mets ma Cause en moi-même, moi qui, aussi bien que Dieu, suis le néant de tout autre, moi qui suis mon tout, moi qui suis l’Unique.

« Si Dieu ou l’humanité, comme vous l’assurez, a une substance suffisante pour être à soi tout dans tout, je trouve que cette substance existe bien plus effectivement en moi et que je n’ai aucunement à me plaindre de mon « vide ». Je ne suis pas le Rien dans le sens du vide, mais le Rien créateur, le Rien duquel moi, créateur, je tire tout.

« Loin d’ici donc, toute cause qui n’est pas intégralement ma cause ! Mais, pensez-vous, ma Cause du moins doit être « la bonne Cause ». Qu’est-ce qui est bon, qu’est-ce qui est mauvais ? Je suis moi-même ma Cause, et je ne suis ni bon ni mauvais. Ni l’un ni l’autre n’ont un sens pour moi.

« Le divin est la Cause de Dieu, l’humain est la Cause de l’homme. Ma Cause n’est ni le divin, ni l’humain, elle n’est pas le Vrai, le Bien, le Juste, la Liberté, etc., elle est seulement le Mien, elle n’est pas générale, elle est Unique, comme je suis Unique.

« Pour Moi, il n’y a rien au-dessus de Moi. »

Et Max Stirner attaque avec une grande vivacité toutes les conceptions supérieures que les hommes ont pu se former, il montre leurs luttes contre les idoles différentes qu’ils se sont faites et auxquelles ils se sont subordonnés. Il est le plus irréductible ennemi de tout ce qui tend à s’imposer à l’homme comme principe directeur de la conduite, le plus impitoyable adversaire de tous les sentiments avec lesquels les hommes ont accepté le joug : le sentiment du divin, le sentiment du sacré, le respect : « Homme, s’écrie-t-il, ta tête est hantée, tu as un grain, tu t’imagines de grandes choses, tu te dépeins tout un monde de dieux qui existent pour toi, un royaume des esprits où tu es appelé, un idéal qui te fait signe. Tu as une idée fixe.

« Ne crois pas que je raille ou que je parle au figuré, quand je dis que les hommes qui se raccrochent à quelque chose de supérieur sont des fous véritables, des fous à lier ; comme pour l’immense majorité des hommes, il en est ainsi, l’humanité entière m’apparaît comme une maison de fous. « Qu’appelle-t-on idée fixe ? » une idée qui s’est assujetti l’homme. Si vous reconnaissez dans cette idée fixe une folie, vous enfermez son esclave dans une maison de fous. Or la vérité de la foi dont on ne doit pas douter, la majesté du peuple, par exemple, à laquelle on ne doit pas toucher, — celui qui le fait commet le crime de lèse-majesté : — la vertu, contre laquelle la censure défend le moindre mot afin que la moralité se conserve pure, ne voilà-t-il pas des « idées fixes » ?… Moi, je ne crains pas d’être maudit et je vis : mes frères sont fous à lier. Qu’un pauvre fou dans une maison de santé soit pos-