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et fatale, comme une sorte de Divinité. C’est ce que Simmel met en pleine lumière quand il nous montre par une comparaison ingénieuse quelle est, aux yeux de certains sociologues, la nature des rapports qui unissent l’Individu à la communauté. « Simmel, dit M. Bouglé, compare la Société à Dieu et montre que le développement des sciences de la société nous fait apercevoir dans toute idée religieuse le symbole d’une réalité sociale. — Il déduit toutes les représentations qui vont se rencontrer dans l’idée de Dieu comme dans un foyer imaginaire, des rapports réels que la Société soutient avec l’Individu. — Elle est la puissance universelle dont il dépend, à la fois différent d’elle et identique à elle. Par les générations passées et les générations présentes, elle est à la fois en lui et hors de lui. La multiplicité de ses volontés inexpliquées contient le principe de toutes les luttes des êtres, et cependant elle est une unité. Elle donne à l’individu ses forces en même temps que ses devoirs : elle le détermine et elle le veut responsable. Tous les sentiments en un mot, toutes les idées, toutes les obligations que la théologie explique par le rapport de l’individu à Dieu, la sociologie les explique par le rapport de l’individu à la société. Celle-ci tient, dans la science de la morale, le rôle de la divinité[1]. »

Ce réalisme social est en même temps un optimisme social. — Diviniser la société, n’est-ce pas affirmer sa bonté transcendante ? N’est-ce pas croire à des harmonies sociales providentielles cachées sous les antagonismes de la surface ? — Le Dogmatiste social dira avec Leibniz qu’il ne faut pas facilement être du nombre des mécontents dans la République où l’on est. Il ordonnera à l’individu de s’incliner devant l’autorité sociale, quoi qu’elle fasse, quoi qu’elle commande, parce que les grandes œuvres sociales sont le symbole d’une Idée morale supérieure devant laquelle doivent disparaître les intérêts, les douleurs et les plaintes de l’individu.

En face de cette conception sociale dogmatique, réaliste et optimiste, on rencontre une conception diamétralement opposée, que nous pouvons désigner par antithèse sous le nom de Nihilisme social.

Dans cette conception nouvelle, l’existence et le droit de la société ne sont plus affirmés comme supérieurs à l’existence et au droit des individus. Au contraire, cette existence et ce droit de la société sont ici mis en doute ou même positivement niés.

On pourrait encore désigner cette attitude d’esprit sous le nom de Scepticisme social. — Le principe de ce scepticisme social est le même au fond que celui du scepticisme métaphysique dont il n’est qu’un aspect. Ce principe consiste en ce que le Moi individuel conserve toujours le droit de douter de ce qui n’est pas lui. Du point de vue du cogito ergo sum, moi seul suis une réalité ; mes semblables, la société qui m’entoure peuvent être regardés par moi comme une

  1. Bouglé, Les Sciences sociales en Allemagne, p. 61.