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explicatives et l’on sera tenté — trop fortement peut-être — de donner raison aux esprits prudents qui voudraient voir les chercheurs s’en tenir pendant longtemps encore à des descriptions précises et minutieuses.

La théorie biologique a été soumise à une critique rigoureuse dont il est peu probable qu’elle se relève jamais. Ce n’est pas une raison pour nier les analogies, très réelles, qui existent entre les sociétés et les organismes. À notre point de vue spécial, l’analogie biologique s’impose et ceux qui l’ont notée méritent quelque éloge. L’identité des individus dans une société animale ou humaine équivaut à l’identité des cellules dans un organisme. Chez les organismes inférieurs, il y a peu de différence entre les cellules, presque point de hiérarchie. L’évolution progressive des individualités physiologiques s’est opérée par une lente différenciation des éléments accompagnée d’une division croissante du travail, et par l’établissement simultané d’une coordination et d’une solidarité plus parfaites. Considéré dès le début de son développement embryonnaire, l’être vivant le plus complexe se compose de cellules d’abord identiques qui peu à peu se différencient suivant des directions déterminées, mais gardent toujours et multiplient de plus en plus leurs relations mutuelles. Les mêmes lois président à l’évolution des sociétés humaines. Les formes inférieures de l’organisation sociale correspondent aux formes inférieures de la vie. Un agrégat de cellules non différenciées offre bien des analogies avec une tribu sauvage où la division du travail n’existe qu’entre les sexes. À l’autre extrême, une société supérieure avec ses individus spécialisés, avec ses familles, ses associations, ses classes superposées les unes aux autres, constitue une vivante hiérarchie comparable aux plus parfaits des organismes. Tout cela a été si souvent répété depuis Spencer, qu’il serait inutile d’insister.

En ce qui concerne spécialement le fanatisme politique ou religieux, l’uniformité des idées, des coutumes, des désirs qu’il exige toujours, engendre souvent et maintient par les pires moyens, ramène la nation, l’église, la secte, à l’état des sociétés primitives et barbares. La diversité qu’il supprime sous toutes ses formes, la cohésion et la solidarité qu’il détruit aveuglément, étant les conditions principales ou, si l’on préfère, les meilleurs indices du progrès social comme du progrès organique, on peut affirmer que son apparition, ses survivances, ses recrudescences marquent ou bien un degré inférieur et un arrêt de développement, ou bien une régression et un état pathologique pour la société comme pour les autres organismes de la nature.