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reusement, les observations des aliénistes ne portent guère sur le détail des phénomènes psychiques et encore moins sur les phénomènes proprement religieux. M. Magnan confond la folie religieuse avec les autres délires chroniques, et si cette identification a peut-être sa raison d’être, ainsi qu’on l’a remarqué[1], au point de vue clinique, elle ne se justifie ni au point de vue psychologique ni au point de vue sociologique. Certains physiologistes se bornent à remarquer qu’une personne ambitieuse se croira prophète inspiré, Jésus-Christ ou Dieu le Père, si ses pensées ont toujours été dirigées sur les matières religieuses, de même qu’elle se croira Victor Hugo ou Byron, si elle a toujours eu d’excessives prétentions poétiques (Maudsley). On verra que, pour acceptable qu’elle soit, cette explication est trop sommaire.

Krafft-Ebing classe ces malades, y compris les fanatiques, dans la catégorie des « dégénérés », des esprits faibles, incapables de s’approprier l’élément moral de la religion. Il a observé chez eux des symptômes morbides au moment de la puberté, et, par la suite, divers désordres physiques et psychiques, un attachement exagéré à quelque forme extérieure du culte ou à quelque précepte absurde, et surtout une perversion plus ou moins grave des sentiments sociaux. Ces caractères se retrouvent en effet dans le fanatisme et dans les différentes maladies religieuses. Mais quelque exacte que soit la description, l’interprétation ne varie guère : la dégénérescence, la dépression, l’exaltation, l’éducation (au sens large) lui semblent expliquer suffisamment la forme religieuse de la folie.

Reprendre la question pour l’envisager à un point de vue plus strictement psychologique, en tenant compte de certains cas moins « avancés » que ceux dont se sont occupés les aliénistes, mais peut-être plus significatifs, tel sera, semble-t-il, le meilleur moyen de l’élucider davantage.


I

La « vie active » et l’adaptation.

Les moralistes religieux, qui opposent couramment la vie active à la vie contemplative, n’ont pas suffisamment observé les hommes pour découvrir les raisons profondes de leur prédilection marquée pour l’un ou l’autre de ces genres de vie. Préoccupés surtout de ce

  1. G.-L. Duprat, Les causes sociales de la folie, et V. Magnan, Leçons cliniques sur les maladies mentales.