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différant pour la morale et pour toute autre connaissance, d’ailleurs d’où les prendrait-on ? De plus les décisions morales ne sont-elles pas ratifiées par l’intelligence ? A quoi bon alors chercher ou imaginer d’autres lois ? Et d’un autre côté, si on devait vraiment découvrir de ces autres lois et qu’elles ne fussent pas d’accord avec celles de l’intelligence, ne créerait-on pas une dualité en l’homme qui n’existe pas réellement ? Il faut donc se résoudre à accepter simplement ce fait les idées morales ne sont que des manifestations spéciales des lois générales de l’intelligence. Les conséquences n’en sont du reste pas du tout au détriment des sciences morales. Toute époque maintenant a une somme moyenne de connaissances morales et autres ; et c’est à cette source que les hommes ont puisé une loi morale selon laquelle ils jugent les cas qui se présentent à eux, selon laquelle aussi ils règlent leur conduite. Cette somme de connaissances morales qui chez beaucoup se forment uniquement par le milieu (ou l’époque) où ils vivent et sans qu’ils s’en rendent compte par la conscience, forme ce qu’on a nommé le sentiment moral ou d’autres la « loi morale innée C’est la, dans cette connaissance commune (aussi bien en ce qui concerne la qualité que la quantité), que gît l’origine de cette unité morale, sur laquelle on a élevé la thèse encore aujourd’hui généralement admise de l’innéité morale.

Nous concevons par ces quelques indications, à quoi aboutirait dans une philosophie de l’histoire, le développement de notre thèse La variété infinie de la loi morale selon temps et lieux et jusqu’aux différences individuelles s’explique de la façon la plus aisée. Le sentiment moral et la loi morale innée sont bien des faits, mais dont on doit rendre compte, et, les déclarer faits premiers, n’est qu’un aveu de faiblesse. Nous comprenons avec notre solution qu’il y ait une histoire des idées morales ; que les principes d’action des hommes n’aient pas toujours été les mêmes ; qu’ils se soient perfectionnés à mesure que la culture intellectuelle avançait et atteignait mieux toutes les classes constituant les peuples. Enfin et surtout nous avons le droit de déclarer légitime la prétention de nos moralistes d’aujourd’hui d’avoir raison, plutôt que les législateurs des peuples barbares, quoique tous ils puisent à la même source du


1. L’histoire serait conçue sous le même jour à peu près que chez Buckle, le célèbre auteur de l’Histoire de la civilisation en Angleterre, avec lequel nous sommes heureux de signaler notre parenté de pensée. Cependant Buckle, tout en relevant l’influence civilisatrice des lois intellectuelles au détriment des lois morales, a maintenu une existence séparée des lois morales tandis que nous, nous avons fondé cette priorité des lois intellectuelles, non sur une simple juxtaposition, mais sur une réduction des lois morales aux lois intellectuelles.