Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 38.djvu/97

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du grave, l’homme a divisé la durée. Et il l’a divisée en parties proportionnelles. Quand on dit qu’une longue vaut deux brèves, que donne-t-on à entendre, sinon que la brève tient dans la durée une place qui, rapportée à celle de la longue, se trouve en être exactement la moitié ? et il est vraisemblable que le rythme ait devancé la mélodie. Il suffit d’un rythme pour que l’on danse en mesure. Le « galoubet » de Valmajour est l’humble serviteur de son tambourin. Et c’est justement qu’on l’appelle le tambourinaire. Primitivement la musique est donc associée à la danse. Elle est née du besoin de danser, et comme, à moins d’être fou, nul ne danse seul, le caractère social de la musique primitive est décidément indiscutable.

De ce qui précède il résulte que les plus anciens instruments sont ceux dont les sons ne se distinguent pas des « bruits ». On peut dire, en effet, à volonté, le son ou le bruit du tambour. C’est assez l’avis de notre auteur. Le gong lui paraît être l’un des premiers venus parmi les instruments. Et cette assertion s’appuie de preuves historiques. Le tambour apparaît beaucoup plus tard.

On a prétendu que l’échelle musicale primitive comprenait cinq tons. Les recherches ethnologiques autorisent une tout autre hypothèse, puisque de vieilles flûtes égyptiennes, dont la fabrication remonte au trentième siècle avant notre ère, ont une échelle diatonique complète. L’opinion de M. Wallaschek appellerait une discussion sérieuse : nous ne saurions nous y engager. Il nous suffira, pour l’instant, de noter, que si cette opinion, justifiée par les faits, venait à s’établir, d’en conclure que l’homme n’a pas inventé la musique on n’aurait néanmoins aucune raison décisive. Personne ne se risquerait à penser que l’invention, chez l’homme, est livrée au hasard. Et si elle est, comme nous le croyons, soumise à de véritables lois, l’universalité de ces lois partout où il est des hommes ne saurait surprendre. Toujours est-il que l’homme n’est pas né musicien, mais seulement apte à le devenir. Nous ne disions pas autre chose lorsque, naguère, nous considérions la musique comme une invention humaine.

Si le rythme précède la mélodie, n’est-il pas naturel, d’autre part, d’admettre que les premiers hommes ont chanté à l’unisson au lieu de chanter à plusieurs parties, et que, par suite, l’harmonie est, de beaucoup, plus récente que la mélodie ? Chez les Hottentots et les Nouveaux-Zélandais on trouve des chants à parties concertantes, et même avec une basse d’accompagnement. Il n’est pas rare, chez les peuples sauvages, que l’on sache accorder un instrument. Donc les raisons de fait manquent pour faire naître l’harmonie longtemps après la mélodie.

La distinction du mode mineur et du mode majeur est, ou paraît aussi ancienne que la mélodie même. Et, chose remarquable, il ne semble pas que l’emploi du mode mineur ou du mode majeur corresponde à des états émotionnels différents. La musique, originairement, n’est donc pas expressive, j’entends expressive d’un état intérieur