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pourrai au besoin en corriger l’expression. Je distinguerai entre ce qu’il a voulu dire et ce qu’il a dit. Et l’aidant à distinguer, je lui rendrai, par ma correction, sa propre pensée plus claire.

La pensée musicale est-elle traduisible ? Pas en langage écrit ou parlé : là-dessus M. Combarieu n’hésite pas. Est-elle traduisible en musique ? Je ne sais si je vais me faire comprendre. Mon désir est de permettre à M. Combarieu de maintenir sa doctrine touchant la réalité de la pensée musicale, sans l’exposer au désagrément d’être rejetée ou même raillée. Je cherche donc s’il est à la pensée musicale et à la pensée proprement dite des propriétés fondamentales communes. Je sais que toute pensée est traduisible en tant que pensée d’une langue dans une autre : que dans une même langue elle est encore traduisible, puisqu’il est possible de l’exprimer de plusieurs manières. Je cherche si cette propriété appartient à la soi-disant pensée musicale. Je me demande si un musicien serait capable de corriger la pensée musicale d’un autre, de telle sorte que cet autre pût dire, non pas « c’est mieux ainsi » ou « c’est plus original », ou encore « c’est moins banal », mais : « c’est bien ce que je cherchais, c’est bien la formule que je voulais écrire et qui ne me venait pas ». Il m’est souvent arrivé de corriger des pensées musicales, jamais de trouver après correction que je savais ce que j’avais voulu dire mieux qu’après le premier essai.

M. Combarieu insiste et nous répète qu’il est des pensées inexprimables. On ne peut pas exprimer tout ce que l’on éprouve, cela est trop vrai. Mais peut-on exprimer tout ce que l’on pense, et l’exprimer avec des mots ? Si M. Combarieu appelle pensée ce que l’on appelle état d’âme, peut-être lui accorderai-je que ces états d’âme sont inexprimables autrement qu’à l’aide de la musique. Encore voudrais-je savoir ce que sont ces états d’âme, quel en est leur contenu psychique. De nous répondre que ce contenu est musical, rien que musical, c’est répéter l’énoncé d’un postulat — je dis postulat par euphémisme — au lieu de répondre par une vraie raison.

Lisons encore et tâchons de trouver une bonne preuve. Voici qu’il me paraît que l’auteur est en train de ruiner sa thèse, car je lis à la page 151 : « Comme on peut le voir, un des principaux artifices du musicien consiste à présenter sous toutes ses faces un sujet déterminé, à dire bonnet blanc après avoir dit blanc bonnet, à faire et à défaire une symétrie… ». La remarque est d’une ingénieuse justesse. Et il y en a beaucoup de ce genre dans le livre de M. Combarieu. De bonne foi si j’avais affaire à un esthéticien qui se serait mis en frais pour démolir la thèse de la pensée musicale, je jugerais la présente remarque très propre à en hâter la démolition. Cela n’empêche pas qu’à la page 158 on ne s’étonne de lire : « La musique ressemble à une logique dans le sens que Stuart Mill a donné à ce mot » ; et trois lignes plus bas : « elle est un jugement de l’esprit s’exerçant sur des faits déterminés ». Qui, elle ? Je cherche à éclairer le texte par le contexte et je suis forcé de comprendre comme si elle signifiait « la musique ». Donc la musique