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sociale. L’absence de documents limite beaucoup l’étude psychologique des individus. Reste l’étude sociologique. Malgré ses difficultés, elle peut être féconde.

Qu’a-t-on fait en ce sens ? Fort peu de chose. L’abbé Dubos, en un premier essai, ramène tout à l’atmosphère, c’est-à-dire au climat. Herder indique le bon chemin, sans rien fonder de positif. Longtemps après lui, Taine reprend le problème, qu’il ne sait ni poser ni résoudre. Il ne remonte pas au delà des classiques. La « température morale » qu’il invoque nous rend peut-être le caractère de l’œuvre d’art, mais n’en explique pas la naissance. Hennequin a montré la fragilité de ces facteurs, la race, le climat et le moment, tels du moins que Taine, vaguement, les définit. Taine, enfin, ne tient pas compte de la réaction de l’artiste sur le milieu. Il formule en lois ses maigres résultats, et c’est là une tendance fâcheuse dont il faut énergiquement se garder. Hennequin, d’ailleurs, a déblayé le terrain, pas davantage. Guyau aurait pu aller plus avant : il a bien vu, avec Herder, que l’art est une fonction de l’organisme social ; comme lui, par malheur, il avance plus qu’il ne prouve, et ses recherches sont aussi trop peu compréhensives ; il se borne à l’art français du dix-neuvième siècle. Bref, on n’a pas commencé par le commencement ; on a négligé les peuples primitifs, déserté l’ethnologie, que recommandaient Dubos et Herder, alors que les matériaux en sont devenus justement plus abondants.

L’ethnologie, néanmoins, devra être consultée avec prudence. Et d’abord, que signifie l’œuvre d’art recueillie dans nos musées ? Le visiteur y trouve grotesques des figures que l’artiste n’a pas voulu faire telles. Puis, l’œuvre n’est qu’un fragment, et nous ignorons les représentations mentales qu’elle évoquait dans ses admirateurs. Qui n’a pas le sens d’une œuvre d’art, ne la possède pas tout entière. Nous ne savons pas ce que signifient les œuvres des peuples primitifs, ou si même elles signifient quelque chose. Autre question embarrassante : « Qu’est-ce qu’un peuple primitif ? » Selon M. Gosse, la production, la condition économique, serait le meilleur critérium du degré de culture sociale. Nous aurions alors, au bas de l’échelle, les tribus qui vivent de la chasse et de la cueillette des plantes, Australiens, Mincopies, Boschimans, Esquimaux, etc. Pour leurs arts, on peut distinguer l’ornementation du corps, la décoration des armes et ustensiles, la représentation figurée de l’homme, de l’animal, puis la danse, dont l’étude a une extrême importance, vu son rôle dans les tribus primitives. La danse, cette statuaire animée, montre le plus clairement, juge très bien M. Gosse, la portée de l’art. Elle est liée au chant, et nous conduit ainsi à la poésie et à la musique.

Prenons maintenant ces sujets l’un après l’autre.

Les peintures sur le corps représentent bien une parure. Quatre couleurs, les sauvages n’en emploient guère davantage. Le rouge seul (rouge jaune) est d’un usage général ; c’est la couleur excitante par excellence ; il suffit de saigner un animal pour se la procurer. Les tribus noires