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de nous recueillir, de nous contraindre en quelque sorte au tête-à-tête avec nos pensées, mais ces pensées pour nous être à nous-même une société vivante et douce, il faut qu’elles acquièrent une particulière puissance, elles ne l’acquerront que si nous cessons de penser avec des mots seulement, si nous nous accoutumons à peupler notre esprit d’images ; et il faut quand nous voulons qu’une idée devienne en nous prédominante évoquer sans cesse en notre conscience toutes les images secondaires qui sont groupées autour d’elle. « Le grand secret pour fortifier en nous un sentiment quel qu’il soit, c’est de maintenir longtemps et souvent dans la conscience les idées auxquelles il est suspendu. » Jamais nous ne porterons sur ce que nous pensons un regard assez attentif ; nous sommes les esclaves de ce que l’on pense autour de nous, les esclaves de la langue même que nous parlons et où se reflètent, les sentiments « médiocres » de la foule, sa haine pour tout ce qui est vraiment noble. La tyrannie des proverbes s’ajoute à celle du langage, la tyrannie des préjugés à celle des proverbes : on pense à l’aide de formules toutes faites, sorties des esprits irréfléchis et grossiers du plus grand nombre. Sans cela il n’est guère d’étudiant qui n’aurait vite compris que la vie qu’il mène à l’imitation de ses camarades aboutit à sacrifier « tous les plaisirs durables, toutes les joies hautes et sereines à la vanité de paraître affranchi, d’emplir les brasseries de cris et de tapage, de boire comme un ivrogne, de rentrer à deux heures du matin par forfanterie, de s’afficher en compagnie de femmes qu’il verra demain aux bras de successeurs non moins fiers que lui de s’afficher » (p. 116).

Quand on se sera ainsi affranchi de la tyrannie des autres, qu’on aura appris à penser sa pensée à soi, à vouloir sa volonté, on aura du même coup réussi à éliminer de sa vie l’imprévu ; ce qui déconcerte les résolutions encore chancelantes, c’est la tentation qui se présente à l’improviste. Mais l’habitude de la méditation peut nous faire prévoir et écarter d’avance les tentations. « Prévoir au point de vue psychologique, c’est préimaginer les événements. Cette préimagination, si elle est vive et nette, équivaut à un état de demi-tension tel que la réponse ou l’acte s’exécute avec une grande rapidité, si bien qu’entre la pensée de l’acte ou de la réponse à faire et cet acte mené ou cette réponse, il n’y a pas de temps où puissent s’intercaler les incitations des événements extérieurs ou les exhortations des camarades » (p. 121).

Mais s’il est excellent de méditer, cela ne suffit point : il faut agir. « Si c’est sous forme de souvenirs que se dépose dans la mémoire de l’étudiant une partie du travail qu’il accomplit, c’est sous forme d’habitudes actives que se dépose en nous notre activité. » C’est par la répétition journalière d’actes que nous avons décidé d’accomplir que se fait l’éducation de la volonté ; pas n’est besoin que les actes soient importants, ni difficiles, ce qui importe, c’est qu’ils soient voulus et accomplis, dès qu’ils sont voulus. « Agir, c’est par exemple pour un étudiant en philosophie se lever à sept heures et lire avec attention tel