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néanmoins la Critique de la Raison pure serait à refondre et il y aurait à examiner en particulier si les prétendues antinomies de la raison pure ne sont pas en réalité des antinomies de l’intuition, provenant de ce que celle-ci n’a de fait aucune règle, lorsqu’elle ne s’appuie pas sur l’expérience.

Ajouterai-je enfin que, sur le terrain où nous nous plaçons, nous sommes en droit d’opposer une fin de non-recevoir absolue aux fantaisies réalistes, comme par exemple celles que M. Delbœuf a si brillamment développées ici même, en soutenant, dans son Mégamicros, qu’il y a, physiquement parlant, des grandeurs absolues ? Son hypothèse, comme on sait, consiste à réduire les dimensions de l’univers, tout en supposant que les atomes chimiques ne soient pas modifiés (que le bois reste du bois et le fer reste du fer). Il est bien clair que dès lors la coordination des phénomènes est totalement bouleversée et que l’univers réduit n’est plus semblable au nôtre. Mais si l’espace n’est qu’une relation subjective, que dirons-nous des atomes chimiques ? Quel droit avons-nous d’attribuer une réalité substantielle à ces êtres purement imaginaires ?

J’ai achevé ce que je tenais à dire sur ce sujet, mais mes lecteurs savent que je ne l’ai point épuisé. L’étude approfondie de M. Renouvier sur les principes de la géométrie eût mérité une longue discussion, car même pour qui n’admet pas son point de départ, ses conclusions n’en seront pas toujours moins dignes d’attention. M. Couturat, dans la Revue de Métaphysique et de Morale, les a critiquées avec compétence et a montré pourquoi elles ne peuvent le plus souvent, dans ce qu’elles offrent de nouveau, être admises pour les mathématiciens. Je me contenterai de relever, sur un point un peu différent, ce que je considère comme une erreur historique.

Au livre V des Éléments d’Euclide, on trouve, dans la vulgate, sous le n° 3, la définition suivante du rapport que cite M. Renouvier : λόγος ἐστὶ δύο μεγεθῶν ἡ ϰατὰ πηλιϰότητα ποια σχέσις (logos esti duo megethôn hê kata pêlikotêta poia schesis). Hankel a déjà signalé l’inutilité absolue de cette définition et son désaccord avec l’ordre d’idées dans lequel se meut Euclide. Il a conclu qu’elle ne pouvait être authentique. Il suffit de connaître tant soit peu la terminologie de la philosophie antique pour juger que l’expression ποια σχέσις (poia schesis) appartient à un élève des Stoïciens, qu’elle n’est certainement pas d’Euclide. La véritable définition antique du rapport (définition qui au reste doit appartenir à Eudoxe, qu’une tradition bien assurée représente comme l’auteur de toute cette théorie) se trouve dans Euclide, V, 4 : « Des grandeurs sont dites avoir entre elles un rapport lorsqu’elles peuvent par multiplication se surpasser réciproquement. » Il est certain d’autre part que cette définition, ainsi que celles de l’égalité des rapports[1] ou de

  1. Des grandeurs sont dites dans un même rapport si des multiples par un même nombre de À et de C sont toujours en même temps supérieurs, égaux ou inférieurs, à des multiples par un même nombre de B et de D.