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peut exister qu’un seul type d’organisation sociale qui convienne parfaitement à l’humanité, et que les différentes sociétés historiques ne sont que des approximations successives de cet unique modèle. Il n’est pas nécessaire de montrer combien un pareil simplisme est aujourd’hui inconciliable avec la variété et la complexité reconnues des formes sociales. Si, au contraire, la convenance ou la disconvenance des institutions ne peut s’établir que par rapport à un milieu donné, comme ces milieux sont divers, il y a dès lors une diversité de points de repère et, par suite, de types qui, tout en étant qualitativement distincts les uns des autres, sont tous également fondés dans la nature des milieux sociaux. La question que nous venons de traiter est donc étroitement connexe de celle qui a trait a la constitution des types sociaux. S’il y a des espèces sociales, c’est que la vie collective dépend avant tout de conditions concomitantes qui présentent une certaine diversité. Si, au contraire, les principales causes des événements sociaux étaient toutes dans le passé, chaque peuple ne serait plus que le prolongement de celui qui l’a précédé ; les différentes sociétés perdraient leur individualité pour ne plus devenir que des moments divers d’un seul et même développement. Puisque, d’autre part, la constitution du milieu social résulte du mode de composition des agrégats sociaux, que même ces deux expressions sont, au fond, synonymes, nous avons maintenant la preuve qu’il n’y a pas de caractère plus essentiel que celui que nous avons assigné comme base à la classification sociologique.

Enfin, on doit comprendre maintenant, mieux que précédemment, combien il serait injuste de s’appuyer sur ces mots de conditions extérieures et de milieu, pour accuser notre méthode de chercher les sources de la vie en dehors du vivant. Tout au contraire, les considérations qu’on vient de lire se ramènent à cette idée que les causes des phénomènes sociaux sont internes à la société. C’est bien plutôt à la théorie qui dérive la société de l’individu qu’on pourrait justement reprocher de chercher à tirer le dedans du dehors puisqu’elle explique l’être social par autre chose que lui-même, et le plus du moins puisqu’elle entreprend de déduire le tout de la partie. Les principes qui précèdent méconnaissent si peu le caractère spontané de tout vivant que, si on les applique à la biologie et à la psychologie, on devra admettre que la vie individuelle, elle aussi, s’élabore tout entière à l’intérieur de l’individu.