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ou certaines personnalités éminentes éveillent chez l’homme, etc., etc.

Mais une telle méthode n’est applicable aux phénomènes sociologiques qu’à condition de les dénaturer. Il suffit, pour en avoir la preuve, de se reporter à la définition que nous en avons donnée. Puisque leur caractéristique essentielle consiste dans le pouvoir qu’ils ont d’exercer, du dehors, une pression sur les consciences individuelles, c’est qu’ils n’en dérivent pas et que, par suite, la sociologie n’est pas un corollaire de la psychologie. Car cette puissance contraignante témoigne qu’ils viennent de quelque chose, qui non seulement est en dehors de nous, mais encore est d’une nature différente de la nôtre puisqu’elle lui est supérieure. Si la vie sociale n’était qu’un prolongement de l’être individuel, on ne la verrait pas ainsi remonter vers sa source et l’envahir impétueusement. Puisque l’autorité devant laquelle s’incline l’individu quand il agit, sent ou pense socialement, le domine à ce point, c’est qu’elle n’en émane pas, mais est un produit de forces qui le dépassent et qui, par conséquent, n’en peuvent être déduites. Ce n’est pas de lui que peut venir cette poussée extérieure qu’il subit. Il est vrai que nous ne sommes pas incapables de nous contraindre nous-mêmes ; nous pouvons contenir nos tendances, nos habitudes, nos instincts même et en arrêter le développement par un acte d’inhibition. Mais les mouvements inhibitifs ne sauraient être confondus avec ceux qui constituent la contrainte sociale. Le processus des premiers est centrifuge ; celui des seconds, centripète. Les uns s’élaborent dans la conscience individuelle et tendent ensuite à s’extérioriser ; les autres sont d’abord extérieurs à l’individu, qu’ils tendent ensuite à pénétrer du dehors. L’inhibition est bien, si l’on veut, le moyen par lequel la contrainte sociale produit ses effets psychiques ; elle n’est pas cette contrainte.

Or, l’individu écarté, il ne reste que la société ; c’est donc dans la nature de la société elle-même qu’il faut aller chercher l’explication de la vie sociale. On conçoit, en effet, que, puisqu’elle dépasse infiniment l’individu dans le temps comme dans l’espace, elle soit en état de lui imposer les manières d’agir et de penser qu’elle a consacrées de son autorité. Cette pression, qui est le signe distinctif des faits sociaux, c’est celle que tous exercent sur chacun.

Mais, dira-t-on, puisque les seuls éléments dont est formée la société sont des individus, l’origine première des phénomènes sociologiques ne peut être que psychologique. En raisonnant ainsi, on peut tout aussi facilement établir que les phénomènes biologiques. s’expliquent analytiquement par les phénomènes inorganiques. En effet, il est bien certain qu’il n’y a dans la cellule vivante que des