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IV


Les difficultés inhérentes à la définition de la ligne droite présentent, comme nous venons de le voir, une grande analogie avec celles qui entourent la définition des parallèles. De là vient que la géométrie non-euclidienne réunit les postulats qui ont trait à la droite et aux parallèles pour en faire le caractère de la géométrie euclidienne, ou, plus brièvement encore, le caractère de la droite euclidienne. Il n’y a en effet que des droites euclidiennes qui soient susceptibles d’être parallèles[1].

Cependant, malgré ces analogies, le problème de la ligne droite n’est pas de même nature que celui des parallèles. Ici, en enchaînant tant bien que mal un certain nombre de propositions, nous avons fini par conquérir un moyen de construire des parallèles et de nous en faire une idée. Il n’en va pas ainsi avec la droite, et la raison de cette différence est très profonde.

Pour les autres figures de la géométrie, l’intuition vient à la suite de la définition ; pour la droite et pour le plan (ajoutons et pour l’espace), l’intuition précède le concept, et la définition doit se mouler sur l’intuition. De sorte que la définition, quelle qu’on la choisisse, est discutable et discutée dans l’esprit. La droite et le plan (et l’espace) existent, si j’ose ainsi dire, en dehors de l’esprit — telles les orbites des planètes — et l’esprit a mission d’en saisir le caractère.

Toute science suppose un objet qu’elle délimite à sa façon. Voici une fleur. Elle pourra être l’objet de la botanique, ou de la physique, ou de la chimie, ou de la géométrie suivant que je la considérerai sous tel ou tel aspect.

En un mot, toute science suppose des données que l’esprit élabore d’une certaine manière sous forme de concepts. L’astronomie s’occupe des astres, et elle définit ce qu’elle entend par astre, et quel genre de phénomènes fournis par eux sera le sujet de ses études. La lumière, bien qu’émanant du soleil, n’est pas l’objet de l’astronomie. La géométrie s’occupe des figures, et elle définit les figures à sa façon. Le cristallographe, le botaniste, le zoologiste définissent aussi les figures des choses, mais non en géomètres. Maintenant, comme le dit excellemment M. Renouvier[2],

  1. Des circonférences concentriques peuvent être appelées parallèles, quand on fait consister le parallélisme dans l’équidistance. Au reste, des parallèles sont des circonférences concentriques dont les rayons sont infinis.
  2. Op. cit., p. 5.