Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 38.djvu/13

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

continuité d’une même évolution, que peut être la philosophie de la nature si ce n’est l’histoire même de l’univers qui nous apparaît ? Terme du progrès réel, la conscience porte en elle les idées que la nature successivement réalise, elle ne s’entend que dans son rapport à tout ce qui la précède, elle crée Dieu et elle le suppose, elle donne l’intelligence d’un monde sans lequel elle ne serait pas. Il n’y a pas deux sciences, il n’y a pas deux mondes, il ne s’agit pas de fermer les sens, d’atteindre par un procédé sui generis la réalité, le noumène qui ne se révèle qu’à l’intuition du métaphysicien ; le problème à résoudre, c’est le monde que nous connaissons par les sciences physiques et naturelles. Ce qui est ne se distingue pas de ce qui apparaît : dégager de la multitude confuse des mouvements, dont la résultante est notre univers, leur direction, découvrir l’idée dans les faits, le progrès dans la succession des phénomènes, regarder les choses du point de vue de l’esprit, mais en se subordonnant à elles, en ne leur prêtant que le sens qu’elles autorisent, en un mot écrire ou plutôt esquisser l’histoire universelle, au sens propre de ce mot, l’histoire de Dieu, telle est l’œuvre du véritable philosophe qui n’est que l’historien avec la pleine conscience de sa tache.


IV


Certes ce plan se présentait avec un certain air de grandeur. Quand Renan imaginait l’édifice dressé dans ses vastes proportions, il pouvait éprouver la fierté que donnent les ambitions généreuses. S’enfermer dans les faits sans trahir l’idée, n’était-ce pas unir le présent au passé, retrouver l’unité de la science et de la philosophie, concilier les exigences de l’esprit nouveau avec les éternels besoins de l’âme humaine ? Le xixe siècle est le siècle de l’histoire : « le trait caractéristique du xixe siècle est d’avoir substitué la méthode historique à la méthode dogmatique dans toutes les études relatives à l’esprit humain… Le grand progrès de la critique a été de substituer la catégorie du devenir à la catégorie de l’être, la conception du relatif à la conception de l’absolu, le mouvement à l’immobilité[1]. » Généraliser la méthode historique, ce serait dire le mot du siècle, dégager sa pensée, lui en donner la claire conscience. L’œuvre

  1. Averroes, préface, p. vi : « … La critique littéraire n’est plus que l’exposé des formes diverses de la beauté, c’est-à-dire des manières dont les différentes familles ou les différents âges de l’humanité ont résolu le problème esthétique. La philosophie n’est que le tableau des solutions proposées pour résoudre le