Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 38.djvu/125

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si loin qu’on les prolonge », il faut démontrer que « par un point on ne peut mener qu’une parallèle à une droite donnée » ; — les définit-on « des droites équidistantes », il faut démontrer que « la ligne équidistante d’une droite est une droite »[1] ; — les définit-on « des droites ayant même direction », il faut établir que « les droites qui n’ont pas même direction font un angle et se rencontrent » ; — veut-on dire que « les parallèles sont des droites qui font avec une même troisième et d’un même côté de celle-ci deux angles dont la somme est de deux droits », on retrouve le postulatum tel que l’a formulé Euclide : « Si une droite tombant sur deux droites fait les angles intérieurs d’un même côté plus petits que deux droits, ces deux droites prolongées se rencontreront du côté où les angles sont plus petits que deux droits. »

Quant à démontrer cette proposition d’après les moyens ordinaires de la géométrie, il faut y renoncer : « Ce serait, pensons-nous, se faire illusion, dit M. Lamarle dans le travail dont fait mention la note précédente, que d’espérer traiter et résoudre en quelques lignes, un problème qui a déjoué, pendant si longtemps, les efforts de tant de géomètres. » De son côté M. Poincaré dit dans l’article déjà cité[2] : « Ce qu’on a dépensé d’efforts dans cet espoir chimérique est vraiment inimaginable. Enfin au commencement du siècle et à peu près en même temps, deux savants, un Russe et un Hongrois, Lowatschewski et Bolyai, établissent d’une façon irréfutable que cette démonstration est impossible ; ils nous ont à peu près débarrassés des inventeurs de géométries sans postulatum ; depuis lors l’Académie des sciences ne reçoit plus guère qu’une ou deux démonstrations nouvelles par an. »

J’avoue que je me défie un peu de ces démonstrations prétendûment irréfutables d’une impossibilité. Combien a-t-on donné de démonstrations de l’impossibilité de carrer le cercle ! Il faut croire cependant qu’elles n’étaient pas absolument bonnes, puisque l’auteur de la dernière, M. Lindemann, soutient qu’avant lui il pouvait rester des doutes[3].

Toutefois moi aussi, à certains égards, je crois, et depuis longtemps, à cette impossibilité. C’est pourquoi, il y a quarante ans, j’ai cherché « à refaire la science et à la placer sur un nouveau

  1. C’est la démonstration de cette proposition que feu Lamarle a présentée en 1856 dans les Bulletins de l’Académie des sciences de Belgique. Elle comprend une vingtaine de pages. Voir Prolégomènes, etc., p. 213.
  2. Revue générale des Sciences, 15 décembre 1891, p. 769. Voir aussi Bulletin de la Société mathématique de France, 2 novembre 1887, p. 203.
  3. La démonstration de Lindemann est de juin 1882. Voir l’Histoire de la Quadrature du cercle dans le Monist, janvier 1891, p. 196.