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Après la trente-cinquième proposition viennent dans Euclide les demandes au nombre de trois, ou de cinq suivant les manuscrits[1] : 1° Qu’on puisse tirer une droite d’un point à un autre ; 2° qu’on puisse prolonger indéfiniment une droite suivant sa direction… 5° Celle qui a rapport aux parallèles.

Dans Legendre, il n’y a pas de demandes. Legendre, en effet, dans cette 15e édition, démontre en théorème, par un procès à l’infini et indépendamment de la théorie des parallèles, que la somme des trois angles d’un triangle est égale à deux droits (Liv. I, prop. xix).

Enfin dans Legendre et dans Euclide, il y a des axiomes, au nombre de cinq chez le premier, de douze ou de dix chez le second, suivant qu’on y fait ou qu’on n’y fait pas rentrer deux des demandes dont il vient d’être question.

Tous les axiomes de Legendre ne sont pas ceux d’Euclide. Dans Legendre on voit figurer au nombre des axiomes que « d’un point à un autre on ne peut mener qu’une seule ligne droite, et que deux grandeurs, ligne, surface ou solide, sont égales, lorsqu’étant placées l’une sur l’autre, elles coïncident dans toute leur étendue[2] ».

Dans Euclide, on lit que « deux droites ne renferment point un espace, et que les grandeurs qui s’ajustent entre elles, sont égales entre elles ».

Il est certain que, tout au moins, il n’y a pas conformité de rédaction.

Voilà ce que sont les principes de la géométrie dans Legendre et dans Euclide. Quand on constate de si grandes et de si nombreuses divergences dans l’énonciation des principes d’une science, peut-on dire qu’ils sont définitifs et irréprochables ?

Que serait-ce si nous portions notre attention sur l’ordre dans lequel sont rangées les propositions et les figures chez ces deux auteurs ? Il faut chercher les coïncidences.

Et pourtant la géométrie passe pour une science exacte. Platon faisait déjà ressortir l’universalité et l’éternité des lois géométriques, caractères qu’à vingt-deux siècles de distance Kant renfermait dans le mot d’apodicticité.

Une chose résulte clairement de cette comparaison — que nous avons faite brève, mais que nous aurions pu allonger — c’est que

  1. Les divergences sont assez notables. Les controverses auxquelles elles donnent lieu ont été exposées et critiquées de la manière la plus savante par M/ P/ Tannery, tant dans divers articles que dans ses ouvrages sur la science grecque.
  2. Elles sont cependant égales avant qu’on les place l’une sur l’autre. Et puis, que signifie placer des solides l’un sur l’autre ? La rédaction est visiblement fautive.