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vrai, mais, objecterons-nous, il ne faut pas conclure exclusivement de là que « le moral et le social ne font qu’un » ; en réalité le moral est moins étendu que le social ; il se rattache à la relation sociale de dirigeant à dirigé, maître à serviteur, gouvernant à gouverné et en général à la relation de fort à faible ; entre égaux il peut y avoir des rapports sociaux, mais le sentiment du devoir ne peut pas se développer.

La dernière partie de l’ouvrage de M. de la G. traite de la gradation à suivre dans l’emploi des éléments qu’il a antérieurement classifiés. Relevons ici les remarques suivantes. Il veut que l’éducation soit divisible, c’est-à-dire distribuée de telle sorte qu’elle ait fourni un résultat utile à quelque moment qu’on l’interrompe. Il distingue l’instruction secondaire (enseignement secondaire spécial) et l’instruction tertiaire (secondaire classique actuelle). L’instruction tertiaire doit être, suivant lui, encyclopédique, avec prédominance pourtant des connaissances qui sont le plus naturelles (connaissances concrètes), ou qui servent d’instrument et de fondement aux autres, ou qui aident le mieux dans la lutte pour la vie ; au point de vue de l’éducation morale, l’auteur recommande comme ce qui est le plus naturel et le plus utile la religion dépouillée de toute idée superstitieuse. Quant à l’instruction secondaire, elle doit être presque entièrement scientifique, exclure les connaissances qui ne sont pas d’un usage pratique (p. 294). Enfin dans l’enseignement primaire il faut davantage encore éliminer, s’en tenir à l’enseignement purement scientifique, supprimer tout à fait l’instruction littéraire qui présente ici les plus grands dangers : en effet elle inspire la vanité, le dégoût du travail manuel.

L’ouvrage de M. de la G. est un peu négligé sous le rapport du style, il est parfois trop sec. Il implique néanmoins un effort considérable de réflexion, d’analyse et de synthèse. Il a encore le mérite d’être original : on ne sent nulle part l’influence profonde de quelque doctrine que l’auteur s’appliquerait à suivre. Les principales critiques qu’on puisse lui adresser nous paraissent être les suivantes :

Il n’a pas suffisamment défini ce qu’il entend par science ; c’est là du reste un défaut fréquent, sinon général, chez ceux qui s’appliquent à classer les sciences. C’est ce qui explique qu’ils commettent si facilement cette autre faute, commise aussi par M. de la G., de paraître considérer la science comme un être en soi, presque distinct de l’homme lui-même ; les livres favorisent d’ailleurs évidemment cette tendance que nous avons à hypostasier la science : on est porté à croire que la science est dans les livres. Mais en réalité la science ou mieux savoir est essentiellement un état subjectif, de même que le langage ou parler est une fonction psychophysiologique, que la digestion ou digérer est une fonction physiologique. On peut ajouter que savoir est un état psychologique relativement homogène, quelle que soit la chose que l’on sait, que par exemple le chimiste sait sensiblement de la même manière que le physicien, et que par conséquent il y aurait peu d’intérêt, peu de chances de succès à vouloir classer les sciences