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constances qui lui permettront d’agir, et l’individu même en qui elle dort ignorera sa présence et ne s’en méfiera point. Il y a encore des évolutions à prévoir, des substitutions possibles de personnalités. Enfin, nous ne connaissons des autres hommes que leur activité extérieure. Quel est le véritable mobile d’un acte donné ? C’est ce qu’il faudrait savoir pour établir un diagnostic correct du caractère. Aussi peut-on rarement être sûr des gens et se fier absolument à eux pour le bien comme pour le mal. On arrive à des probabilités, jamais on n’atteindra la certitude. Comme exemple à l’appui de ces règles, l’auteur nous donne une étude détaillée d’un caractère original, celui de Gustave Flaubert un unifié par amour de l’art, avec une nature un peu grosse quoique très sensible, un tempérament de lutte, fécond en contrastes, fasciné par ce qu’il hait le plus, la bêtise et la laideur morale, le vice et peut-être l’horrible.

Pour conclure, l’auteur nous fait entrevoir les applications que l’on peut faire de cette étude à un nouvel ordre de recherches. La série des caractères, telle que nous l’avons établie par ordre de décroissance dans la cohésion et l’énergie des tendances, par ordre de croissance dans l’ampleur des relations établies entre l’individu et son milieu social ou cosmique, a une valeur non seulement psychologique, mais morale. « Toutes choses égales d’ailleurs, l’équilibré, l’unifié, le maître de soi, sont supérieurs au type de lutte, au type de contraste, supérieurs eux-mêmes aux incohérents ; de même le glouton est, toutes choses égales d’ailleurs, inférieur au gourmand, qui est inférieur à l’intellectuel, inférieur lui-même à celui chez qui domineront les passions sociales ou philosophiques désintéressées ; ainsi l’égoîsme est inférieur à l’altruisme et celui-ci au dévouement aux choses abstraites. Je n’ai pas eu à développer cette manière de voir, je la signale seulement ici parce qu’il importe d’indiquer la portée des idées générales sur lesquelles cette étude est fondée. Comme elles ont été mon guide dans la psychologie abstraite d’abord, dans la psychologie concrète ensuite, elles peuvent, je crois, nous aider dans l’examen et dans la discussion des problèmes de la morale. »

Cette classification des caractères est inédite, étant fondée sur une théorie personnelle ; et ce serait déjà beaucoup, traitant un sujet en apparence rebattu ; que d’avoir trouvé un point de vue original qui nous ouvre sur la nature humaine de nouveaux aperçus. Mais ce n’est pas le seul mérite de l’ouvrage. M. Paulhan ne nous présente pas seulement des cadres, mais des tableaux. Comme devait s’y attendre quiconque a suivi le mouvement de sa pensée, son nouveau livre est riche en observations de détail, en fines analyses qui n’excluent pas les vues d’ensemble et les larges synthèses. Peut-être cette.étude eût-elle gagné à être faite d’une manière plus indépendante, sans autre préoccupation de justifier une théorie. N’eût-il pas été plus naturel, par exemple, de mettre au début du livre le chapitre qui traite des différents types formés par la prédominance ou le défaut d’une tendance