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dore de Cyrène, tandis qu’il est incontestable que ce géomètre a professé à Athènes, d’ailleurs avant la mort de Socrate, et qu’il est absurde de croire qu’après trente ans, Platon ait encore eu besoin de recourir à ses leçons[1] ?

Je reprocherai plus sérieusement à M. Huit d’être un peu long dans cette partie de son ouvrage. Comme il n’avait, et pour cause, que trop peu de faits positifs à nous donner, il s’est jeté dans des digressions intéressantes, mais qui atteignent la proportion de hors-d’œuvre. Ainsi je trouve une quarantaine de pages sur la question générale de l’influence de la philosophie orientale sur la grecque avant le temps d’Alexandre ; cette influence est, par une discussion serrée, ramenée à ses justes limites, c’est-à-dire à presque rien ; mais précisément il est à peine question de Platon à ce sujet. M. Huit se contente de conclure que le disciple de Socrate est « un Grec d’Athènes, mais un Grec qui a réchauffé son imagination aux rayons du soleil de l’Orient », ou de remarquer « qu’il semble s’être attaché, de propos délibéré, à développer des mythes égyptiens et orientaux ».

Cette dernière remarque pouvait précisément faire l’objet d’une étude approfondie et intéressante ; M. Huit nous la doit, car il soulève là une question très grave, que personne, que je sache, n’a sérieusement abordée (les mythes platoniciens contiennent-ils des éléments légendaires empruntés soit aux traditions grecques, soit aux barbares ?). Laisser tomber cette question après l’avoir simplement indiquée ferait croire, et ce n’est certainement pas le cas, qu’on n’a aucun argument sérieux à l’appui de la solution proposée.

Mais sans doute M. Huit aura voulu et qui peut l’en blâmer ? éviter tout paradoxe, faire un livre qui reste, parce qu’il est dans des opinions moyennes et qu’il se borne à l’exposé exact et complet des faits, non pas un ouvrage de controverse où, pour soutenir une thèse posée, on se laisse aller à forcer la note et à dépasser sa conviction raisonnée.

Cette tendance est surtout visible dans la façon dont est traitée la question d’authenticité ; c’est là la meilleure partie de l’ouvrage, celle qui lui donne une valeur hors ligne. M. Huit ne dissimule pas son opinion personnelle, que j’ai rappelée plus haut ; mais il ne cherche nullement à la faire prévaloir, et il renvoie, pour le détail des arguments, aux écrits qu’il a publiés antérieurement. Aujourd’hui son but est tout différent ; il expose l’état de la question, pose les règles de la critique d’attribution, examine les témoignages critiques et en discute la valeur, traite en général de l’application des divers critériums internes et expose en détail les résultats auxquels cette application a conduit les divers savants qui se sont prononcés sur la question,

  1. Notons quelques inadvertances : Agathias imprimé pour Agathon. I, p. 37, l. 10. — P. 41, l. 9. Empédocle a-t-il bien enseigné à Athènes ? — P. 163, l. 3, Hermocrate pour Héraclide du Pont.