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plus promptement, sans beaucoup de travail, même si le remède est passager, même s’il complique encore plus le mal, qu’il devait faire disparaître. Voilà pourquoi l’évolution sociale se déroule par petites secousses et par petits progrès ; voilà pourquoi les idées les plus complexes se forment peu à peu, par accumulation d’idées plus simples, qui ont coûté un travail moins intense.

À leurs débuts donc toutes les institutions, même les plus solides, commencent par être des expédients provisoires inventés dans un but assez restreint et limité ; elles se développent ensuite et acquièrent une importance permanente par tous les petits efforts additionnés des générations qui suivent. Nous, les hommes civilisés, nous ne jouissons par ce côté que d’un avantage sur les peuples barbares : c’est que, grâce à une culture plus grande, nos institutions passent plus vite de la période provisoire à la période permanente. L’histoire récente des sociétés coopératives peut être assez instructive à ce propos.

Cette horreur de l’homme pour le travail musculaire et mental est du reste très bien explicable. Un travail comporte toujours une désintégration dans les tissus ; il produit donc une douleur, si le tissu n’est pas assez fort pour soutenir cette usure pendant un certain temps. Plus le tissu est faible, plus l’épuisement produit par cette désintégration du travail est rapide. Or le cerveau paraît se trouver chez la plus grande majorité de l’humanité dans un état de faiblesse normale, par laquelle en peu de temps il se lasse et s’épuise au travail.

Cette loi psychologique du moindre effort n’a rien de commun avec la loi bien connue de l’économie politique, qu’on a appliquée aussi à la psychologie ; la loi du maximum des effets obtenus avec le minimum de l’effort. Cette loi exprime le but final du travail humain et du progrès intellectuel, qui est d’obtenir des résultats toujours plus grands en employant des forces toujours plus petites, en réalisant ainsi une épargne de travail : la loi du moindre effort exprime au contraire le processus par lequel peu à peu l’humanité accomplit ses progrès, qui est celui d’accomplir toujours pour résoudre les difficultés de l’existence, l’effort moindre, même en obtenant le résultat le plus petit et le plus passager. Comme on le voit, les deux idées ne pourraient être confondues.

Guillaume Ferrero.