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exemple, en augmentant l’activité cérébrale ; il est donc probable que la fonction de la sensation dans ce processus psychique est analogue à celle des forces physiques dans les combinaisons chimiques : c’est-à-dire qu’en communiquant du mouvement moléculaire au cerveau, elle ébranle l’inertie mentale et rend possibles ou augmente les phénomènes de la pensée.

La loi des associations mentales qui est la loi suprême de l’esprit humain peut, elle aussi, être à un certain point de vue ramenée à cette loi plus générale de l’inertie mentale. Une image, une idée, une émotion ne restent pas éternellement dans le champ de la conscience ; une image, très vive lorsque la sensation est encore récente, pâlit peu à peu ensuite ; une idée, qui au moment où elle est pensée occupe toute notre attention, est ensuite oubliée ; une émotion même, si elle est très intense, ne durera pas éternellement et finira par s’éteindre. Combien d’états de conscience disparaissent ainsi chaque jour dans le gouffre de l’oubli toujours béant au milieu de notre esprit ? C’est toujours la loi de l’inertie : de même qu’un corps ne demeure pas éternellement en mouvement, de même qu’une substance chimique finit par devenir inactive, un état de conscience, étant une transformation d’énergie, disparaît lorsqu’il a consommé la quantité initiale d’énergie dont il était pourvu.

Mais un état de conscience éteint n’est pas absolument perdu pour l’esprit. Il peut revivre, de deux façons. Il peut revivre d’une façon directe, si l’excitation qui l’a produite, vient agir de nouveau : ainsi par exemple une image pâlie revit, si la sensation vient de nouveau frapper nos sens. Mais un état de conscience peut aussi, et c’est le cas plus fréquent, revivre d’une façon indirecte, par association : et c’est justement ce phénomène de l’association mentale qui, comme j’ai dit, peut être ramené aux phénomènes de l’inertie et du mouvement communiqué.

Quelque étrange que puisse paraître tout à coup ce rapprochement entre la loi de l’inertie et la loi des associations mentales, il est justifié par ce fait que les associations mentales de toute espèce ont toujours leur dernier point de départ dans une sensation, c’est-à-dire que les processus associatifs sont toujours déterminés, dans leur première origine, par une sensation. Certainement, dans la vie psychique ordinaire, dans l’enchevêtrement infini de nos états de conscience, outre les images, les émotions et les idées qui sont éveillées par les sensations, il y a des images, des émotions et des idées