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spécifications, des concentrations de notre conscience appétitive et motrice continue. Si mon petit doigt s’abaisse sur la détente d’un fusil, ce léger mouvement est le terme de la totalité des mouvements de réaction qui, composés et fondus ensemble, aboutissent, selon la loi du parallélogramme des forces, aux muscles du doigt. De même, le mouvement de la déteute du fusil aboutit à celui de la balle traversant l’air ; mais il y a cette différence que le mouvement de la détente, celui de la capsule, celui des gaz explosifs, celui de la balle, ne sont pas embrassés dans une conscience. Par quel mystère pouvons-nous faire la synthèse de toutes nos réactions motrices dans notre conscience de désirer et de faire effort ? Impossible de répondre. Mais pouvons-nous davantage expliquer comment les mouvements produits dans notre cerveau par les instruments d’un orchestre arrivent à être synthétisés dans la sensation d’harmonie ? Il y a deux faits qu’il faut admettre et qu’il ne faut pas confondre : le fait des changements subis que nous sentons, et le fait des changements imprimés auxquels nous travaillons.

IV.

— Nous avons prouvé que tous les phénomènes intellectuels, sensation, représentation, projection au dehors, conscience du moi et de son existence continue, sont inexplicables sans la volonté ; il en est de même des phénomènes affectifs. Qui dit plaisir ou peine dit non seulement une sensation, mais une sensation favorable ou défavorable à l’ensemble des mouvements vitaux et des états de conscience corrélatifs à ces mouvements. Or, le groupe des états de conscience corrélatifs aux mouvements vitaux ne reçoit point passivement le plaisir et la peine comme une simple sensation additionnelle, comme un chiffre de plus au total antérieur. Le total attire ou repousse le chiffre nouveau ; la cœnesthésie admet ou rejette les sensations survenantes, comme l’ensemble des mouvements vitaux admet ou repousse le mouvement synergique ou antagoniste. Cette admission et ce rejet ont leur contre-partie mentale, qui n’est plus simplement le plaisir ou la peine, mais une tendance à maintenir le plaisir et à changer la peine en plaisir. En un mot, l’être qui jouit ou souffre n’est pas, dans sa totalité, indifférent à lajouissance qu’il reçoit ou à la peine qu’il reçoit ; il ne se borne pas à pâtir de telle manière, à répéter pour ainsi dire continuellement : je pâtis, donc je pâtis ; il dit : je pâtis, donc je veux continuer ou cesser de pâtir. Donnez le nom qui vous plaira à ce mouvement vers l’avenir (avenir qui n’a pas besoin d’être conçu) toujours est-il qu’il existe. Si vous placez la réaction, sous une forme quelconque, dans le plaisir et la peine, vous pourrez ne pas la mettre à part sous le nom de volonté, mais