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de notre existence continue. Sans doute, quand nous essayons de nous représenter le vouloir, nous n’y parvenons qu’en l’incorporant dans un objet, — désir de telle chose, vouloir de tel mouvement, — car nous ne pouvons vouloir à vide ; mais cette présence nécessaire d’un objet, qui seul donne une forme représentable et tranchée à la volonté, n’empêche pas la volonté même d’être avant tout indispensable ; aussi la volonté a-t-elle la conscience continue de soi, sans que cette conscience, comme telle, ait une forme autre que celle qui lui vient des sensations résultant de son contact avec le monde extérieur.

Par opposition au tout de la conscience sensorielle, le tout continu de la conscience motrice n’admet aucun mouvement venu de. nous qui ne nous apparaisse clairement ou obscurément comme lié à notre réaction d’ensemble et résultant de son application à quelque objet particulier. Même quand nous nous figurons créer un mouvement ex nihilo, nous nous l’attribuons à nous-mêmes ; par conséquent, nous conservons le sentiment d’un lien entre ce mouvement et ses antécédents ; mais, comme nous ne pouvons analyser totalement ces antécédents, nous nous tirons d’affaire en invoquant notre liberté d’indifférence. Si cette liberté est chimérique, il n’est pas chimérique de dire que les « actions » sont des mouvements ayant leurs principaux antécédents dans notre moi, dans la réaction nerveuse et cérébrale de notre organisme entier, manifestée sur un point particulier. De même, c’est sur tel ou tel point que l’éclair jaillit du nuage ; l’éclair n’en est pas moins la résultante et le signe de la totalité des tensions existant dans le nuage et de leur rapport avec les tensions simultanées des autres nuages.

Les interminables discussions psychologiques sur l’existence ou la non-existence d’une « activité » quelconque, soit dans l’attention et l’aperception, soit dans la volition proprement dite, viennent de ce qu’on raisonne toujours dans l’hypothèse de facultés distinctes, qu’on met en rapport et en conflit l’une avec l’autre, au lieu de considérer, ainsi que nous venons de le faire, l’évolution interne comme un développement continu et total. Mais la conception même de la volonté comme d’une faculté en opposition avec l’intelligence vient de ce sentiment obscur d’un tout continu de réactions formant à chaque instant une seule réaction d’ensemble en un sens déterminé. Ce n’est pas à une faculté que se rattache mon action présente, mais à la totalité de mes réactions nerveuses et cérébrales, dont elle est le terme et l’expression sensible.

Les actions particulières, comme lever le bras, mouvoir les jambes, prononcer telles ou telles paroles, ne sont, en effet, que des