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la distinction du sujet et de l’objet, du moi et du non-moi, où se trouve encore une preuve de la volonté. Est mien ce que je fais ou contribue à faire par mon vouloir ; est non-mien, ce que je trouve tout fait, et souvent fait en dépit de moi. Réduit à des sensations toutes passives, s’il en pouvait exister de telles, je ne me distinguerais plus de rien et me perdrais tout entier dans l’univers. La ce représentation », comme telle, exprime surtout les relations de l’être vivant avec les autres objets, conséquemment le reflet de ces objets en lui ; la volition, le désir, le plaisir et la peine expriment, dans ce qu’ils ont de constitutif, la nature même et le développement propre de 1 être vivant. C’est pour cela que nos plaisirs et nos pûmes, nos efforts, nos désirs et nos volitions nous semblent si bien à nous, et que jamais nous ne les attribuons au non-moi, tandis que nous y localisons, même à l’excès, nos représentations, nos sensations. Nous croyons que le vert est réellement sur l’herbe, l’azur sur le firmament et les sept couleurs dans l’arc en ciel. Quelques erreurs que nous fassions ainsi dans l’orientation de nos états de conscience, nous en revenons toujours à distinguer le pôle passif et le pôle actif, le non-moi et le moi. La classification distincte en mien et tien, moi et toi, suppose sans doute un jugement réfléchi, avec la conception de deux centres opposés, si bien que les idées du moi et du non-moi sont des produits tardifs de la réflexion ; mais le sentiment du passif et de l’actif est immédiat, universel.

Non seulement la position du moi en face du non-moi serait pour nous incompréhensible s’il n’existait que des modifications passives sans réaction, mais le caractère d’unité et de continuité que nous attribuons au moi — fût-ce en définitive une unité d’apparence et une continuité d’apparence — ne se comprend encore que par l’action continue du vouloir-vivre et par le mouvement perpétuel qui en est la manifestation en nous. Les sensations de chaque moment ont beau se mêler aussitôt au continuum sensoriel, elles n’en ont pas moins des qualités tranchées qui leur confèrent une individualité apparente. Au contraire, mes volitions m’apparaissent comme des parties intégrantes et des développements de ma vie interne, combinée, il est vrai, avec les influences du dehors, réfractée et réfléchie en sensations de toutes sortes. J’ai le sentiment d’une tension interne continue, d’une sorte d’appétit vital incessant, d’un vouloir-vivre indéfectible, traduit par une motion continue. Je ressemble au nuage qui, au lieu de recevoir l’éclair, comme le reçoivent nos yeux, le produit et le tire de son sein, parce qu’il y a en lui un passage des forces de tension à des forces motrices. C’est cette continuité du désir, de l’attention, du vouloir qui nous donne le sentiment