Page:Ribot - Revue philosophique de la France et de l’étranger, tome 19.djvu/49

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
45
P. TANNERY. — la théorie de la matière d’après kant

VII

Les principes de mécanique dont nous avons parlé jusqu’à présent sont les seuls qui soient ordinairement reconnus dans l’enseignement actuel. Kant y ajoute une quatrième loi, la loi de continuité, qu’on se contente de supposer implicitement.

Leibniz est le premier qui ait dégagé cette loi et fait ressortir son importance ; il est singulier que Kant, dans la période antécritique, y ait trouvé une antinomie, en rééditant des arguments semblables à ceux qu’on attribue à Zénon d’Élée ; en tout cas, il n’est pas parvenu à lui donner une formule précise et définitive.

Il est difficile au reste de reconnaître à cette loi un caractère réellement mécanique ; elle se réduit en fait à préciser la conception phoronomique (cinématique) du mouvement.

Nous concevons, comme nous l’avons déjà dit, le mouvement de chaque point de la matière comme s’effectuant suivant une trajectoire jouissant des propriétés attribuées aux courbes géométriques et, comme cas particulier, aux droites. Ces propriétés sont la continuité, l’existence en chaque point d’une tangente déterminée, enfin la continuité dans la variation de la direction de la tangent. D’autre part on conçoit la vitesse du point comme également soumise à une variation continue.

L’existence implicite de ces postulats n’est pas douteuse, la seule difficulté qui se présente est relative au cas où la vitesse subirait en des points singuliers de la trajectoire, des changements brusques de valeur ou de direction ; on peut évidemment considérer en cinématique de tels cas ; mais il s’ensuit alors que l’accélération devient infinie en ces points, et comme l’accélération est prise pour mesure de la force, il s’ensuit que l’hypothèse ne peut être considérée comme réelle. C’est ainsi que la loi de continuité prend une apparence mécanique, dans son application spéciale aux cas des chocs, etc., où l’expérience grossière semble indiquer des changements brusques dans la valeur ou la direction de la vitesse ; il n’en est pas moins certain que son véritable caractère est purement cinématique.

Il convient, en effet, d’observer que la continuité, telle qu’on la conçoit comme caractère du mouvement, ne s’applique nullement à la force, et qu’on regarde celle-ci ou au moins qu’on peut la regarder sans aucune contradiction, comme variant d’une façon disconti-