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sifs des éléments infinitésimaux de la matière. Il y a là certainement une idée profonde et séduisante au premier abord, mais il faut savoir où elle peut conduire.

La question de l’unité des forces physiques consiste à formuler et à postuler le plus petit nombre possible d’hypothèses simples pour en déduire l’explication des phénomènes d’ordre différents (gravitation universelle, élasticité, chaleur, électricité, magnétisme, etc.). Si l’invention des coefficients intensifs suffisait en admettant pour chaque élément un coefficient unique, tel que la densité, par exemple, certes Kant aurait émis une des idées les plus fécondes que connaisse l’histoire de la science. Mais si au contraire, pour l’explication des phénomènes naturels, je suis obligé de multiplier ces coefficients pour chaque élément, d’en avoir un par exemple pour la température, un autre pour le potentiel électrique, etc., où est le progrès ? Je vois simplement reparaître sous une forme mathématique et abstraite, ces entités tant raillées de l’âge scolastique ; je piétine sur place au lieu d’avancer.

Entre ces deux conséquences possibles de l’hypothèse de Kant, il est difficile de se prononcer mûrement, puisqu’elle n’a, jusqu’à présent, subi aucun développement scientifique ; mais jusqu’à nouvel ordre, la probabilité me paraît pour la seconde alternative, et en tout cas, si la première devait au contraire transformer la science, ce ne serait qu’à la suite de travaux très considérables qui modifieraient profondément le caractère de l’hypothèse première et pourraient aussi sans doute s’adapter à d’autres suppositions.

En résumé, quelle que soit la valeur réelle des diverses parties de la dynamique de Kant, quel que soit le talent qu’il y ait dépensé, la profondeur de génie dont il y ait fait preuve, sa tentative me paraît avoir abouti à un échec complet, et c’est la meilleure preuve sans doute que l’on puisse donner à posteriori de l’impossibilité radicale où nous nous trouvons de soulever le voile d’Isis.

IV

La partie de l’ouvrage de Kant qu’il a appelée mécanique, commence par la discussion des questions relatives à la mesure de la masse et de la force. Je ne m’y arrêterai pas ; M. Stadler avoue que Kant y a été obscur, et certainement cette obscurité n’est compensée par aucune originalité. Il est banal, par exemple, de dire que la masse est « la quantité de matière », mais il est difficile de concilier cette