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P. TANNERY. — la théorie de la matière d’après kant

II

Je passerai rapidement sur ce que Kant appelle la phoronomie, ou ce que nous désignons ordinairement sous le nom de cinématique, que, c’est-à-dire la théorie du mouvement considéré, abstraction faite des forces ou, si l’on veut, des lois de la communication du mouvement. On sait que cette théorie ne diffère de celles de la géométrie que par l’introduction de la notion de temps et de quelques postulats aussi simples en réalité que ceux qu’exigent les spéculations sur les relations dans l’espace. On admet notamment que le mouvement est continu et que la trajectoire d’un point est une courbe (accidentellement une droite), c’est-à-dire un ensemble continu de points jouissant de certaines propriétés géométriques générales. Quoique la nécessité à priori de ces postulats ait été récemment mise en question par quelques mathématiciens, je n’insisterai pas maintenant sur ce point sur lequel j’aurai à revenir je désire d’ailleurs discuter surtout les principes particulièrement mécaniques.

La phoronomie de Kant est entachée d’un double vice ; en premier lieu, il en exclut les mouvements qui ne sont pas rectilignes et uniformes. Cette exclusion est singulière et ne s’explique qu’en remarquant qu’à l’époque où il écrivait, la cinématique n’était nullement constituée à l’état de branche indépendante ; Kant qui, comme savant, était réellement plutôt physicien que mathématicien, n’a pu pressentir l’importance que devaient prendre les développements purement mathématiques de cette partie de la science, et il s’est laissé aller à préjuger la nature du mouvement rectiligne et uniforme, question mécanique qui doit être écartée en cinématique.

La seconde erreur de Kant me parait avoir été exagérée encore par M. Stadier ; ce dernier n’a peut-être pas bien compris les restrictions qui devaient être dans l’esprit du philosophe de Kœnigsberg, et ne s’est peut-être pas exactement rendu compte de ce que Kant a appelé, dans la partie de son ouvrage dite phénoménologie, la modalité des jugements phoronomiques.

En fait, le problème général de la cinématique est le suivant étant donné le mouvement d’un système A relativement à un système B, celui d’un système B relativement à un système C, et ainsi de suite, trouver le mouvement du système A relativement au dernier des systèmes considérés. Ainsi en cinématique tout mouvement est relatif