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l’avons reconnu. Mais prise en elle-même, indépendamment de toute interprétation surajoutée et de tout usage qu’on en peut faire, considérée à sa source même, dans le cas qui la fait naître, en quel sens cette impression serait-elle une illusion subjective ? Hume, que nous sachions, n’a point dit qu’elle le fût ; et il ne pouvait le dire sans se mettre en contradiction avec lui-même. En effet, il n’existe pour Hume que des impressions et des idées. L’illusion peut bien se trouver dans l’idée, à savoir quand elle ne répond pas exactement à l’impression ; mais comment et en quel sens l’illusion pourrait-elle se trouver dans l’impression elle-même ? L’impression, c’est pour Hume la vérité même et le critérium de la vérité, c’est le dernier fond des choses, c’est le réel, c’est l’absolu. Aussi nulle part Hume ne pose au sujet de l’impression la question de la vérité ou de l’erreur. Il dit expressément au contraire que « toutes les impressions sont éprouvées par l’esprit telles qu’elles sont ; » « toutes les actions et sensations de l’esprit doivent nécessairement paraître en tous points ce qu’elles sont et être ce qu’elles paraissent : autrement, il faudrait supposer que même lorsque nous sommes le plus intimement conscients nous pouvons être le jouet d’une erreur. » (Traité de l’entendement, partie IV, section ii, Du scepticisme à l’égard des sens).

En résumé, il y a une idée de causalité ; donc il y a une impression de causalité ; donc, puisque l’impression c’est, à la fois, la chose et le sentiment de la chose, il y a un cas de causalité et une expérience immédiate de la causalité. — Il nous paraît donc que nous avons en raison de dire que, d’après Hume, il est un cas privilégié, unique, où la causalité est prise sur le fait.

Par suite, c’est à bon droit aussi, ce nous semble, que nous avons rapproché la doctrine de Hume sur l’origine de l’idée de cause, de celle de Biran. Ce rapprochement nous a paru d’ailleurs intéressant, justement parce que, après avoir remarqué combien ces deux penseurs sont, sur ce point, voisins l’un de l’autre, on est d’autant plus étonné de les voir ensuite diverger complètement dans les conséquences que chacun d’eux tire de sa théorie.

N’est-il pas étrange, en effet, que Hume, après avoir reconnu la vertu de l’habitude associante, n’ait pas voulu voir que cette habitude n’est qu’un cas particulier de l’habitude qui opère en d’autres occasions des effets tout semblables ; et aussi, qu’il y a, outre les habitudes acquises au cours de l’existence, des habitudes primitives et constitutives de la nature des êtres, lesquelles amènent les actes comme les habitudes associantes amènent les idées, etc… ? Comment la causalité, ayant une fois pénétré dans le système, y a-t-elle été maintenue à l’état d’unique et d’incompréhensible exception ? Par nécessité logique, pour assigner l’origine de l’idée de cause, Hume a été forcé d’accorder à la causalité une place. Si petite qu’il la lui ait faite, c’est le germe obscur mais puissant qui, tôt ou tard, fécondé et développé, fera éclater le système tout entier.

E. Rabier.