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notes et discussions

douloureuse. Je dis alors : « vous ne sentez rien à la jambe gauche, vous sentez à la jambe droite et plaçant un écran devant les yeux fermés du sujet de manière qu’il ne pût voir où je le touchais, j’électrisais au hasard l’une des deux jambes ; et il ne manifestait la douleur que sur celle où j’avais suggéré la sensibilité, sans jamais se tromper. Je m’était assuré préalablement que la sensibilité existait normale à l’état de veille. Tel était l’état somatique de mes sujets, et j’ai le droit d’affirmer qu’ils ne simulaient pas, qu’ils dormaient ; je m’engage à répéter ces expériences devant tous ceux qui voudront être éclairés.

Il importe de se rappeler encore que beaucoup de somnambules ont une finesse de perception très grande ; ils retiennent et évoquent à leur réveil tous les détails d’une hallucination complexe commandée ; ils les réalisent avec tant de finesse et de sagacité qu’on ne pourrait s’empêcher de penser à la simulation, si une étude approfondie et répétée sur un nombre considérable de sujets ne manifestait toujours les phénomènes avec les mêmes caractères. Voici, par exemple, un fait intéressant qui montre combien la finesse de perception rend la suggestion facile, et les expériences trompeuses.

Mon collègue Charpentier a bien voulu faire avec moi cette expérience : à une de nos somnambules non hystérique, suggestible à tous les degrés, je présente en état de sommeil un disque en carton totalement blanc, et je lui dis : « à votre réveil vous verrez un disque en carton ; la moitié gauche est rouge, la moitié droite est jaune. »

À son réveil, elle voit nettement les deux couleurs. Sur la face opposée soustraite à la vue de la personne, nous avions marqué au crayon le côté suggéré jaune et le côté suggéré rouge. Alors nous enlevons le disque, nous le tournons dans un autre sens, et nous prions Mile X d’indiquer où était chacune des couleurs ; elle signale immédiatement et exactement la partie rouge et la partie jaune (telle qu’elle était marquée sur l’envers) et recommença plusieurs fois l’expérience avec succès. Alors nous nous aperçûmes qu’il existait au centre du carton un trou avec une bavure du papier qui pouvait servir de point de repère ; nous fîmes disparaître cette bavure ; et alors Mlle X cessa de s’orienter elle localisa au hasard le rouge et le jaune à droite ou à gauche, en haut ou en bas, et ses indications n’étaient plus conformes aux marques inscrites sur le revers.

J’ajoute qu’en faisant tourner rapidement le carton aux deux couleurs (suggérées) sur un disque rotatif, Mlle X continua à voir un mélange de rouge et de jaune, mais ne vit pas la couleur orangée qui devait résulter du mélange des deux couleurs, si ces images avaient été réelles, c’est-à-dire si elles avaient passé par l’appareil optique et nerveux de la vision avant d’aboutir au centre sensoriel.

Nous avons répété ces expériences sur d’autres sujets avec le même résultat.

Il nous parait donc certain que l’image fictive est créée (avec des souvenirs) dans le sensorium central, que l’hallucination est un acte