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d’autres gardent les attitudes imprimées (catalepsie suggestive) ; la contracture suggestive, les mouvements automatiques suggestifs entrent ensuite en scène. Enfin l’obéissance automatique, l’anesthésie, les illusions sensorielles, les hallucinations, provoquées, marquent les étapes progressives du développement de cette suggestibilité dont le degré culminant est constitué par le somnambulisme actif ou vie somnambulique. C’est ce dernier degré seul, celui où les phénomènes suggestifs sont plus développês, qui s’accompagne d’amnésie au réveil. Un sujet environ sur cinq ou six de ceux que l’on hypnotise arrive à ce degré que nous appelons somnambulisme profond ; et quand il n’y arrive pas d’emblée par le seul fait de l’hypnotisation, aucune des manœuvres que nous avons essayées n’a pu le développer. Le degré de suggestibilité hypnotique nous a toujours paru dépendre du tempérament individuel et nullement de la manipulation mise en œuvre.

J’insiste encore sur un fait capital. MM. Binet et Féré disent : « La catalepsie, la léthargie, et les états qu’ils appellent dimidiés, « l’hémiléthargie et l’hémicatalepsie sont, dans le grand hypnotisme, des états inconscients où la condition des sens et de l’intelligence rend le sujet complètement étranger à ce qui se passe autour de lui ; il est en effet nécessaire d’avoir recours à des artifices assez compliqués pour déterminer des suggestions dans ces phases de l’hypnotisme ; et même, chez certains sujets, aucun moyen ne réussit. Cependant l’expérience montre que l’aimant transfère un grand nombre de phénomènes dans ces conditions. »

Or, je le répète, à tous les degrés de l’hypnotisation, le sujet reste conscient ; il suffit d’ordonner un acte pour qu’il l’exécute, soit immédiatement, soit après plusieurs injonctions répétées ; je n’ai jamais eu recours qu’à la suggestion vocale pour les réveiller et il s’agit de plusieurs centaines d’expériences. À ceux qui sont amnésiques au réveil, il suffit d’avoir dit pendant leur sommeil : « vous vous rappellerez tout ce que je vous dis, tout ce qui se passe », pour que le souvenir soit conservé, preuve que l’hypnotisé n’est pas un automate inconscient, mais que son cerveau, docile et suggestible, reste conscient.

Cela posé, j’ajoute que j’ai pris pour sujets de mes expérimentations des hommes et des femmes, hystériques et non hystériques, tous suggestibles au plus haut degré, c’est-à-dire susceptibles de contracture, de catalepsie, d’anesthésie, d’illusions sensorielles et d’hallucinations, avec amnésie au réveil. Par fixation de mes doigts avec ou sans suggestion vocale, je les mets en hypnotisme ; ils sont en résolution. Chez tous ceux que j’ai expérimentés à ce point de vue, l’anesthésie était parfaite, je traversais la peau avec une épingle, j’enfonçais celle-ci dans les narines, sans qu’ils manifestassent aucune sensation. Chez plusieurs, pour défier toute simulation, j’eus recours au chariot électrique de Dubois-Reymond ; rapprochant les bobines, j’appliquai brusquement la pointes d’une pince électrique sur la peau, en disant au sujet : « vous ne sentez rien ». Il resta insensible à cette impression si terriblement