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actes semblent donc bien différents pour le témoin de l’expérience. Et cependant que de traits communs ! Dans l’un et l’autre cas, Wit… est éveillée, en pleine possession de son intelligence ; dans les deux cas, elle se sent libre, elle est persuadée qu’elle fait ce qu’elle veut, et on l’étonnerait beaucoup si on lui disait qu’elle obéit à une pression toute physique, et que lorsqu’elle change de coude, c’est à cause d’un morceau de fer qui est caché sur la table ; dans les deux cas enfin, elle donne une raison plausible pour expliquer l’acte qu’elle accomplit. Si elle a commencé à s’accouder à droite, c’est parce que nous l’en avons priée ; et si ensuite, elle s’est accoudée à gauche, c’est que son bras droit était engourdi. Quand on voit l’illusion de la liberté s’élever à ce degré, on se demande si cette illusion n’existe pas aussi ailleurs, et si le premier acte, l’acte volontaire et spontané, l’acte que nous croyons libre n’est pas lui aussi déterminé et nécessaire.

Quoi qu’il en soit, ce transfert d’une pose volontaire, avec toutes les circonstances qui l’accompagnent, nous permettra d’éclaircir un point important de la théorie déterministe. On sait que d’après cette théorie, toutes nos volitions sont déterminées par les états conscients ou inconscients qui les précèdent exactement de la même manière qu’un effet physique est déterminé par sa cause physique. On n’a si souvent combattu cette théorie que parce qu’on l’a mal comprise. En effet, on a cru que si toute volition était causée comme un phénomène physique, nous serions dans ce cas forcés, contraints, d’agir d’une façon plutôt que d’une autre, conséquence qu’on a réfutée en invoquant le sentiment que chacun de nous possède d’être libre. L’argument ne porte pas, car le déterministe n’a jamais prétendu dire qu’en exerçant notre activité volontaire nous subirions une contrainte quelconque. C’est ce que l’expérience fait bien comprendre, dans le transfert d’un acte volontaire ; l’aimant, ce grand modificateur du système nerveux, crée dans le cerveau de notre sujet un état fonctionnel spécial cet état, qui se produit en dehors de la conscience du sujet, a pour effet de déterminer la volonté d’accomplir un acte donné. Le sujet ne se sent nullement contraint d’accomplir l’acte en question, bien que cet acte soit une résultante de l’état nouveau créé par l’aimant. Ce cas particulier est la loi générale, d’après la théorie déterministe ; notre activité volontaire est toujours une résultante de l’état de nos centres nerveux.

L’extension du transfert aux mouvements volontaires d’une personne éveillée permettra certainement d’étudier dans de meilleures conditions qu’autrefois l’action de l’aimant sur le système nerveux.