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BROCHARD. — DE LA CROYANCE

Examinons-la d’un peu près, en prenant pour point de départ l’idée qu’on est généralement disposé à se faire de la certitude, sauf à l’éclaircir peu à peu et à lui donner plus de précision.

À première vue, l’évidence apparaît comme une propriété intrinsèque des choses ou des idées auxquelles on l’attribue. Quand on dit qu’une chose ou qu’une idée est évidente, on entend qu’elle l’est par elle-même, indépendamment de tout rapport avec notre esprit, et qu’elle ne cesserait pas de l’être alors même que nous cesserions de la connaître ou d’exister.

Admettons que les choses ou les idées possèdent par elles-mêmes cette propriété. On conviendra que cette propriété ne peut avoir d’influence sur l’état d’âme appelé certitude, être cause de certitude, qu’autant qu’elle produit sur nous une impression, un changement d’une certaine nature. Nous ne sortons pas de nous-mêmes pour aller constater dans les choses ou dans les idées ce caractère qu’on appelle l’évidence : c’est en nous seulement, par le contre-coup qu’elle provoque, que nous pouvons la connaître. Aucune contestation n’est possible sur ce point.

Mais cet effet que l’évidence produit en nous, ce contre-coup qu’elle a dans notre âme, c’est précisément ce qu’on appelle la certitude. C’est par la certitude que nous jugeons de l’évidence : une chose est évidente parce que nous sommes certains ; l’évidence est moins le critérium de la certitude que la certitude celui de l’évidence. Cela est si vrai que nous disons indifféremment d’une chose qu’elle est évidente, ou qu’elle est certaine.

Tous les philosophes qui ont étudié attentivement la question conviennent de ce que nous venons de dire. Ne déclarent-ils pas, avec Spinoza, celui de tous peut-être qui s’est exprimé sur ce point avec le plus de netteté, que la vérité est à elle-même sa propre marque (veritas se ipsa patefacit[1] ; veritas norma sui et falsi est[2]), ou encore que l’évidence est comme un trait de lumière qui éblouit, et entraîne l’assentiment ? Comme nous reconnaissons la lumière à ce fait que nous sommes éclairés, nous reconnaissons l’évidence ou la vérité à ce signe que nous sommes certains.

Évidence et certitude sont donc deux expressions absolument synonymes : elles désignent la même chose, l’une à un point de vue objectif, l’autre à un point de vue subjectif. Ou plutôt ces mots de subjectif et d’objectif doivent être écartés de toute philosophie dog-

  1. De intellectus Emendatione, p. 14. édit. de la Statue.
  2. Eth., p. II, pr. XLIII, Schol.