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ANALYSES.p. von gizycki. Philosophie d’Épicure.

devraient atteindre d’après les plans divins ou l’ordre moral du monde et d’essayer ensuite de montrer chaque génération s’en approchant successivement de plus en plus.

D’une telle exposition, il faudrait éliminer soigneusement toute appréciation, tout éloge et tout blâme, pour ne pas courir le risque d’induire le lecteur en erreur. L’historien pourrait même se dispenser de toute critique et laisser à l’histoire elle-même le soin de juger. Toutes les autres critiques vieillissent très vite, celle-là ne vieillit pas. Pour les remplacer, on pourrait joindre à l’exposition des doctrines une histoire, appuyée sur des faits positifs, de leur développement dans les temps ultérieurs.,

C’est surtout pour la philosophie d’Épicure, qui a donné l’impulsion à la science moderne par l’intermédiaire de Gassendi, de Hobbes et d’autres, que cette méthode serait facile à employer et donnerait des résultats intéressants.

Nous avons exposé assez longuement les idées émises dans l’opuscule du docteur P. Von Gizycki. Il nous semble qu’il y aurait profit pour tous ceux qui s’occupent de l’histoire de la philosophie à examiner la méthode objective telle qu’elle y est présentée, à en discuter certains points et à en admettre certains autres. Sans doute Hegel trouve que l’histoire de la philosophie ainsi comprise ne présente d’intérêt que pour les érudits, c’est-à-dire pour des hommes qui s’efforcent selon lui d’apprendre une foule de choses inutiles ; mais on peut être d’un autre avis sur ce point et croire qu’une exposition fidèle de ce qu’ont pensé Platon, Aristote, Épicure et Chrysippe offrirait plus d’intérêt pour le lecteur que l’exposition de la philosophie que tel ou tel historien aurait voulu voir « enseigner par Platon, Aristote, Épicure et Chrysippe. De plus on ne saurait savoir, avant de l’avoir recherché soi-même, quelles choses dans l’érudition sont utiles et quelles autres ne le sont pas. Il vaut donc mieux en tout cas laisser le lecteur juge du choix qu’op fait en exposant d’abord, sous une forme objective, les résultats auxquels on est arrivé par ses propres recherches. Le chercheur d’or sait qu’il n’en trouvera pas dans toute l’étendue d’un terrain qui en contient abondamment ; il ne laissera cependant aucun coin inexploré, car c’est là quelquefois que se trouverait le filon le plus riche. De même l’historien de la philosophie ne doit considérer par avance aucune recherche comme inutile, mais se souvenir qu’on peut même, ainsi que le disait Leibnitz, trouver de l’or dans le fumier de la scolastique.

F. Picavet.